Djinns et sorcellerie dans la société swahili
Pascal BACUEZ
p. 7-27
Résumés
Cet article
décrit quelques unes des modalités de la relation à l’invisible dans la
société swahili. La possession par les djinns – dont on détaille ici les
grandes familles et leurs manifestations – est abordée en tenant compte
des changements récents qui ont affecté la côte swahili.
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1Cet
article décrit quelques-unes des modalités de la relation à l’invisible
dans la société swahili. La possession par les djinns – dont on
détaille ici les grandes familles et leurs manifestations – est abordée
en tenant compte des changements récents qui ont affecté la côte
swahili. En Tanzanie, comme dans beaucoup de pays, une alliance avec le
monde invisible est toujours possible. Sur la côte swahili1,
elle est établie lorsque des djinns (ces génies qui permettent de
comprendre l’inexplicable : infortune, maladie, échec divers, etc.) se
rendent chez les hommes. Le mot « djinn » jini est générique. Il désigne aussi bien les shetani et les mizuka. Seul le contexte permet de savoir de quel type de djinn il s’agit.
2Deux
modalités de cette relation peuvent être relevées. Dans un premier cas,
la communication est établie dans les termes d’une alliance contrainte.
Le djinn se présente, l’homme est possédé2. On dit alors que le djinn « monte » kupanda,
pour qualifier la transe qui permet de dialoguer ou d’établir une
relation avec lui. Il est possible aussi de le « faire monter » kupandisha (mot plus rare de nos jours : kupunga) ; « déterrer, creuser » kuchimbua est
un verbe également utilisé pour dire qu’on appelle le djinn. D’autres
expressions sont couramment utilisées : on peut « être recouvert », ou
encore « habillé » kuvaa. Certains individus, souvent plus
disposés que d’autres, vont alors quitter leur état de conscience
habituel et, après une phase convulsive, entrer en liaison avec ces
êtres hybrides et ambivalents appelés shetani. Il faut alors les « déterrer » (ou « creuser ») kuchimbua ou les « enlever » (au sens d’extraire) kuchomolewa pour sortir de l’« obscurité » giza de la transe. Pour autant, tous les shetani ont leur mode d’expression et/ou des termes spécifiques. Parmi les mots les plus fréquemment utilisés : « l’argent » jebu ou njenjenje ; « l’enfant » nyanyie ; le « père » ou la « mère » kongovyere ; « être enceinte » kubeba kasha (porter / caisse). Certains spécialistes disent que les djinns ont leur propre idiome pour se parler entre eux (espèce de « latin » kilatini). Dans
tous les cas, les djinns ne sont jamais classés en fonction de leur
rôle thérapeutique ou des relations de parenté qu’ils pourraient
éventuellement entretenir entre eux. Cette question n’est pas pertinente
dans le cas de la société swahili de Kilwa. Les djinns ont une
existence qui transcende les appartenances communautaires données par la
parenté ou le voisinage. Dans un deuxième cas, la puissance des djinns mizuka (pluriel de mzuka) est parfois telle qu’elle échappe au pouvoir des hommes ; de
cette hybris peut naître, dans certaines circonstances, une nouvelle
conjoncture, le djinn pouvant devenir complice des menées destructrices
des hommes qui les manipulent à des fins sorcières. Le djinn attaque, la
personne est envoûtée.
Entre ciel et terre : les shetani
3Les shetani
évoluent dans un univers distinct de celui des hommes, avec lequel il
interfère cependant. Tous ont des mœurs et des usages qui les
différencient les uns des autres. Bien qu'invisibles, ces djinns sont
cependant psychologiquement très semblables aux hommes, éprouvant les
mêmes passions de colère, d'amour et de jalousie, le même plaisir à se
jouer d'autrui. Certains savants leur attribuent des rôles mais c'est
leur espièglerie qui les caractérise et les rend particulièrement
volatils. Tous parlent de la nature de l'homme, tous sont facétieux et
imprévisibles. Connue de certains spécialistes, l’origine des shetani est centrée sur le personnage de Kisisina.
4Kisisina
est un djinn qui vécut longtemps auprès de Dieu ; celui-ci en avait
fait un grand savant et l’avait instruit des connaissances de l’univers.
Vivant près du Seigneur, Kisisina conçut un jour le projet de dérober
les secrets de l’univers en pratiquant la divination. Dieu s’en alarma,
lui retira sa « confiance » radhi et l’expulsa de son royaume.
Puis, constatant qu’il y avait péril en la demeure, il demanda à
l’archange Gabriel d’aller reprendre les livres sacrés utilisés par
Kisisina. L’archange ne se fit pas prier ; heureux d’abuser le djinn, il
prit la forme d’un être humain et se présenta devant lui. « Sais-tu où
se trouve l’archange Gabriel ? » lui demanda-t-il. Kisisina prit son
livre de divination et consulta l’invisible. Il s’y reprit à plusieurs
fois pour être sûr de la réponse car tout semblait indiquer que
l’archange était l’un des deux. Une dispute s’ensuivit, puis l’archange
parvint à subtiliser le livre pour le rapporter à Dieu. Mais en arrivant
dans le royaume des cieux, Gabriel s’aperçut qu’il était suivi par
Kisisina. Craignant qu’il ne le rejoignît, il déchira un feuillet du
livre sacré et le jeta en direction de son poursuivant. Celui-ci le
ramassa, tourna les talons et redescendit dans le monde des hommes.
5En
ces temps anciens, les djinns et les hommes se côtoyaient et pouvaient
se voir les uns les autres. Lorsque Kisisina revint sur terre, pensant
avoir récupéré son livre, il continua ses activités. Les années passant,
il voulut un jour connaître les circonstances de sa mort future. Il
interrogea le destin, et la divination lui révéla le nom de l’agent
maléfique qui serait responsable de son décès. « C’est une « raie » nyenga (Taeniura lymma)
qui te tuera », lui répondit-on. Informé de ce mauvais présage,
Kisisina prit la résolution de s’installer sur le continent, persuadé
d’échapper ainsi à ce funeste destin. « Les continentaux ignorent tout
de l’existence de ce poisson, se disait-il, je suis sauf ». Intrigués
par la conduite de Kisisina, ses hôtes lui demandèrent la raison de sa
présence parmi eux. Le djinn consentit à leur donner des explications,
ironisant sur la nature de l’oracle rendu. Les continentaux
l’interrogèrent sur la forme de ce poisson. Kisisina leur fit un dessin
sur le sol, insistant sur la queue perfide de la raie. « Ce poisson est
inoffensif, leur expliqua-t-il, tant que vous ne mettez pas le pied à
cet endroit... ». En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, le
dessin se mua en poisson, la queue se rétracta et cingla la jambe de
Kisisina qui, touché mortellement, s’effondra sur le sol.
6Ce
récit est instructif à plus d’un titre. Kisisina est le djinn par
lequel la connaissance de l’invisible est parvenue aux hommes. Il décrit
une situation originelle dans laquelle un djinn jouit librement d’un
objet sacré (un livre) auquel est attribué un pouvoir infini. Cette
situation ne dure pas : Kisisina commet une faute en voulant s’emparer
des secrets divins. Le Très Puissant se dresse contre lui et l’expulse
de son royaume. Le djinn perd une partie de ses pouvoirs et se retrouve
dans la société des hommes où son savoir-faire est partiellement
transmis. La situation actuelle doit être comprise à la lumière de cette
forme d’hybris originelle : il est vain et arrogant de vouloir tout
connaître, mais les djinns nous montrent une des voies possibles d’accès
à l’invisible.
7De nos jours, la composition de l’ordre invisible a conservé la référence implicite à ce récit. La plupart des shetani se répartissent en deux groupes distincts selon qu’ils habitent la « mer » bahari ou les « zones montagneuses » milima. Mais il s’agit d’une vision extérieure au phénomène car ce qui les différencie principalement, ce sont leurs « mœurs » madhehebi et plus précisément leurs « habitudes alimentaires » vilaji et leurs façons de se manifester dans la « danse » uchezaji.
Pour la plupart des possédés, les djinns sont aussi des
gardiens-protecteurs qui se répartissent en deux grandes familles selon
leur mode de déplacement : selon qu’il sont « aériens » jini wa angani (djinn / de / ciel) ou « terriens » jini wa chini (djinn / de / par terre). Les aériens sont plus rares ; ce sont principalement les « derviches » Darwesh et les « commandants » Kamanda,
tous les deux côtiers. On ne peut les faire venir dans le cadre d’un
rituel que si l’on possède une chaise haute, ou une « balançoire » pembea
car le maître ou l’initié ne doit pas toucher le sol de ses pieds s’il
veut entrer en contact avec eux. Les continentaux sont tous pour la
plupart des terriens (à l’instar d’autres côtiers). Notons ici que cette
opposition entre aériens et terriens est secondaire : ce n’est jamais
un attribut distinctif des différents djinns puisqu’il est toujours
théoriquement possible à n’importe quel djinn d’en emprunter le procédé.
8Passons en revue quelques shetani3.
Par ordre de fréquence, mentionnons, parmi les côtiers : Darwesh (ou
Shehe), Kamanda (« le commandant »), Almaiti (« la mort »), Kibwengo
(« le monstre marin »), Mzungu (« l’européen »), Karyanike. Parmi les
continentaux : Lipuga (ou Makuira), Mmakonde (originaire du pays
Makonde), Mnyasa (de l’ethnie Nyasa), Matumbi (de l’ethnie Matumbi),
Nchanchera (« le tourbillon »), Simba (« le lion »), Nyoka (« le
serpent »).
9Parmi les djinns côtiers, il faut distinguer les « djinns blancs » rohani4 (principalement Darwesh et Almaiti) des autres, qui leur sont subordonnés (Kamanda, Kibwengo, Mzungu). Les djinns blancs sont au service du « culte » musulman ibada ; ils n’aiment pas les traitements à base de plantes médicinales et préfèrent les « grandes lectures divines » maandishi ya Mwenyezi Mungu (écrits / de / qui possède / Dieu) et les « tablettes coraniques effacées avec de l’eau safranée » makombe. Pour être agréés, les possédés doivent leur donner des présents : de « l’eau de rose » marashi, du « sirop d’orange » oranji, des sodas, du sucre, de la « cardamome » hiliki.
Ces djinns ont la réputation de manger proprement et de séparer les
aliments (ils ne mélangent pas le sucré et le salé, le plat et
« l’accompagnement » kitoweo). La possession ne dure pas longtemps et ne conduit jamais à la folie. Les plus appréciés sont les « djinns du dhikr » jini wa dhikiri : Darwesh5 ; quant aux « djinns instruits » jini wa kisomo (djinns / de / lecture),
c’est-à-dire ceux que l’on sollicite à la faveur de lectures
coraniques, ils sont réputés plus dangereux car pouvant conduire à des
transes particulièrement violentes ; c’est le cas de Almaiti.
10Parmi les djinns côtiers, Darwesh est de rang supérieur. Il a une dignité qui le place au dessus des autres djinns ; on le compare souvent à un grand « juge » hakimu.
Lorsque tous les djinns d’un possédé sont partis, c’est lui qui se
« retirera » le dernier (littéralement, « démettre, détacher » kuchomoka), tout en laissant derrière lui l’impression d’un « souffle » protecteur upepo. On lui reconnaît la capacité de provoquer un
affaiblissement de la lucidité, voire d’égarer ses « insufflés » ;
beaucoup de possédés affirment volontiers que ce djinn a une inclination
particulière pour les ingrédients ou les techniques qu’utilisait le
prophète Mohamed, c’est-à-dire les dattes, le « café en grain » buni (mélangé avec du sorgho et du sucre), le riz pilaf et le café chaud. Darwesh
est un djinn reconnaissant dont la bonté est réputée parfois rejaillir
sur la lignée familiale des participants. C’est pour cette raison que
certains spécialistes organisent des rassemblements tous les vendredis
pour lui rendre hommage. Dans ces cérémonies chuchizo circulent le riz pilaf, du « jus de raisin » zabibu, du café et des dattes en signe de gratitude. Ce chef a ses vassaux en la personne de « commandant » Kamanda ou de Nyasa.
11Kamanda est en effet un soldat dont la mission est d’assister Darwesh.
Militaire de formation, il est reconnu pour ses capacités d’imitation
(trait qu’il partage avec les djinns continentaux). Ses manifestations
sont bruyantes : chacun de ses chants est marqué par un frappement
sonore des pieds et ses insufflés, pour le séduire, avancent en pas
cadencé. Son tempérament est des plus surprenants : c’est un braillard
qui ne s’apaise que lorsqu’on lui donne du sang. Il n’est d’ailleurs pas
très regardant sur la provenance du sacrifice : qu’on lui serve du sang
de chèvre ou de pigeon, peu lui importe, il le prendra en se réservant
le droit de se plaindre ensuite. Kamanda fait la parade : ses
possédés sont particulièrement agités, circulant dans la salle
liturgique sans aucun ordre, se cognant la tête contre les murs et
hurlant à l’envi des mots incompréhensibles, sortant du cercle de danse
pour prendre en main la « parade » pledi (parfois taburu), quitte à aller à la rencontre d'un autre pour lui « donner des ordres » kuamrisha, faire le « salut militaire » saluti ou simuler une passe d’armes. Il porte généralement des vêtements blancs avec des étoiles rouges sur les manches.
12Almaiti est un djinn
marin particulièrement puissant qui jouit d’une sinistre renommée. Ce
djinn mérite toute notre attention car il se manifeste uniquement à la
faveur de lectures coraniques : on récite le takbir après avoir fait « l’appel à la prière » adhana.
Ici nul besoin de tambours ni de chants. Il vient sans se faire
annoncer, brutalement, sans que l’on ait pris soin d’établir un premier
contact. Ses insufflés manifestent sa présence par de larges mouvements
de bras, comme s’il fallait évacuer les lieux lorsqu’il monte. Il est
craint car il peut tuer (d’où son nom, « la mort »). Lorsque les
patients sont revêtus de ce djinn, ils « s’évanouissent » kuzirai ; il est souvent conseillé de les recouvrir d’un long drap blanc, espèce de « linceul » sanda avant la lettre. Almaiti n’a pas d’ami, il ne dialogue pas, on ne sait pas ce qu’il veut sinon le sang de deux « pigeons » kunda. C’est souvent ce djinn que les maîtres-sorciers utilisent, asservissent dans un but maléfique. Avec Almaiti, aucune parade à la mort ne peut être envisagée si l’on est impur ou « souillé » mchafu. Mais si l’on est « pur » msafi, ce djinn peut tomber amoureux et se faire ensuite complice de son élu.
13Kibwengo
est un djinn marin hilare, fourbe, tricheur, espiègle mais sympathique.
C’est un farceur capable de ressentir des émotions fortes. Quand il
vient, kibwengo réclame de la farine de sorgho et un peu de « miel sauvage » chopi chopi,
mets de choix que l’on peut toutefois compléter ou remplacer par du
crabe ou des coquillages. Lorsqu’il monte, son élu est pris de fous
rires et parle comme un enfant. C’est un des rares djinns qui peut être
aperçu en bord de mer ou dans le dédale des palétuviers. Dans ce milieu
semi aquatique, il peut prendre des aspects divers : se métamorphoser en
« murène » mkunga ou en monstre hideux particulièrement repoussant.
On le décrit comme une créature effrayante, pourvue d’un long nez et
aux yeux caves ; d’autres témoignages en font un être assez corpulent,
ayant comme le « kangourou » kangaro une poche sur le ventre où il placerait les « coquillages » tondo qu’il
ramasse. Ses mains n’ont que deux larges doigts dont il se sert comme
d’une pince et qu’il ne craint pas de plonger dans l’eau chaude pour
saisir un plat cuit.
14Mzungu « l’européen » a,
quant à lui, la force légendaire des djinns à tempérament extraverti.
S’il n’est pas le plus puissant des djinns, ses possessions peuvent être
intimidantes. Mzungu donne des ordres, peut être bagarreur et a
le verbe haut. Avec lui, la possession ne manque jamais de facéties à
connotation sexuelle, de crises convulsives accompagnées de roulades au
sol, et ses chants sont manifestement empreints d’une joie et d’une
bonne humeur qui sont les signes, pour beaucoup d’observateurs
extérieurs, de ses origines européennes. Pour l’apaiser, les adeptes
devront lui offrir une cigarette à fumer et quelques biscuits qui sont, à
n’en pas douter, des plaisirs européens. Mzungu s’exprime dans
la langue de son appartenance d’origine, souvent l’anglais, plus
rarement l’allemand et de nos jours l’italien. Lorsqu’il monte, il lui
arrive parfois de jouer les gangsters ou les G.I. Certaines de ses
manifestations font rire l’assistance : habillé de bleu (sa couleur
préférée), il s’assied à l’européenne (en « croisant les jambes » kupiga nne (frapper / quatre) lorsqu’il est sur une chaise, ce que les Swahili ne font jamais). Il porte parfois un bob, ou une « casquette » kapero et une chemise avec des « écussons » tepe
en forme d’étoile et de demi-lune. Notons que la plupart des gens ne
savent pas vraiment le situer, à l’instar de tous les djinns métisses.
15Les
djinns continentaux présentent de forts contrastes lorsqu’on les
compare aux djinns côtiers. Les côtiers sont envisagés comme des
individus. Les continentaux sont toujours les représentants d’une
« race » ou d’une « espèce » kabila. Mmakonde, Matumbi, Nyasa
sont des termes pour désigner des groupes ethniques. Simba, Nyoka sont
des animaux. Quant à Lipuga, il est le représentant d’une ethnie, les
Ngindo. Un trait suffit parfois à les distinguer les uns des autres ;
Simba grogne, Nyoka se roule par terre et pousse des sifflements comme
un serpent. Tout commentaire à leur sujet est générique. A l’unanimité,
tous les témoins s’accordent à dire que ce sont les djinns du désordre
et des mélanges. Ils sont grossiers, profèrent des injures et se
querellent facilement avec les autres, pas uniquement parce qu’ils
boivent de l’alcool et mangent du miel de brousse, mais parce qu’ils
associent ces ingrédients avec de la viande et de la « bouillie de
manioc » ugali. Ils ont d’ailleurs un goût prononcé pour les mets réputés sauvages : « racines de brousse » ming’oko (Dioscorea sp.), porridge
de sorgho, banane plantain, canne à sucre. C’est la raison pour
laquelle on les nourrit à même le sol (un repas ordinaire se fait
toujours sur une natte), dans des « plateaux » sinia où les mets sont disposés en vrac. Les possédés « s’empiffrent » kubugia,
se barbouillent le visage et les cheveux de bouillie puis finissent par
des haricots cuits et du miel (mélange sucré / salé). Habillés de
« cotonnades noires » kaniki (incarnation de la laideur plus
que du paganisme), les possédés auront à les satisfaire en buvant le
sang d’un sacrifice (poulet de couleur sombre, chèvre noire), que le
maître leur fera boire à la faveur de danses tambourinées. Ces djinns
sont souvent associés à la folie (comme Kamanda aussi...) ou à des
pathologies invalidantes (bras ou jambes paralysés, surdité temporaire,
manque d’appétit). On les compte parmi les plus bruyants et leur transe
peut durer de longues heures (les maîtres peuvent rester pris tout le
temps du rituel). Absolument impudiques, ils n’ont pas besoin de se
cacher comme le font les djinns côtiers qu’on recouvre souvent d’un long
drap blanc. Les continentaux sont sales, ce qui explique qu’on puisse
les appeler en état d’impureté, alors qu’il est exigé de faire ses
ablutions si l’on veut inviter les djinns blancs. Ce sont par
ailleurs de grands imitateurs, ce qui les rend coupables, aux yeux des
djinns côtiers, de toutes les usurpations. C’est la raison pour laquelle
on retrouve chez eux des pratiques qu’ils ont empruntées (mais les
Swahili parlent de « vol » kuiba) aux côtiers (par exemple la « balançoire liturgique » bembea de Kamanda, le drap blanc de Kilima destiné à recouvrir les initiés, etc.).
16Ces
djinns continentaux, réputés plus indociles et incontrôlables que les
djinns côtiers, sont aussi connus pour prendre leurs adeptes par
surprise ; c’est le cas de Nyasa. D’autres, comme Makonde ou Matumbi
montent (ou métaphoriquement « s’introduisent » kujiingiza)
parfois alors qu’on ne cherchait pas à les faire venir. D’autres enfin
sont sujets à des crises de délire violentes et ne tiennent pas en place
dans l’aire de danse. Lipuga, quant à lui, a des « obligations
rituelles » makuira que bien des spécialistes ne parviennent à
observer ; en effet, tous les maîtres de ce culte sont tenus de nouer
entre eux des engagements réciproques : les dons effectués à la faveur
des rituels doivent être redistribués pour être placés sous l’autorité
du récipiendaire du rite à Ngende (village situé sur le continent et
dépositaire du rite). Lipuga se distingue de ces homologues par le jeu
des instruments de musique : « maracas » manyanga et tambours.
Les adeptes distinguent deux types de Lipuga selon qu’ils utilisent tel
ou tel instrument de musique : Kimbunga, qui reste assis par terre et
chante en s’accompagnant de maracas ; Ndwewe ou Mangungu qui commence
par chanter et qui se lève pour danser aux sons de tambours. L’un et
l’autre boivent de la bière de sorgho, chantent et se roulent par terre.
Ndwewe est plus brutal : il lui arrive d’entraîner ses possédés en
brousse, et beaucoup de patients se plaignent de cauchemars et
d’hallucinations.
17Les continentaux imposent à leurs adeptes l’observance de règles « coutumières » précises : porter un « pagne noir » kaniki, une « écharpe rouge » kitambaa chekundu et un « collier de taille » ushanga pour les femmes. Certains se distinguent par quelques traits remarquables : Matumbi exige que l’on porte des « sonnailles » njuga (à l’instar de Makonde et de Nyasa), un « serre-tête » kisese en forme de couronne de poils et un « pagne végétal » kibweya
pendant les danses. Lors du rituel proprement dit, les offrandes
doivent comprendre du sang de poulet et de la « bouillie de sorgho » ugali wa mtama (bouillie / de / sorgho).
Ces djinns ont parfois des exigences draconiennes : Matumbi peut
désirer des mets difficiles à trouver (des œufs ou du miel) ou dormir
par terre dans un pagne noir ; Simba, dont les signes de possession se
manifestent par des douleurs dans le cou et dans le dos, réclame du sang
de poulet mélangé à de la cannelle et du sucre. Mais tous portent des
vêtements noirs parfois rehaussés de galons rouges ou verts et arborant
des écussons en forme d’étoile et des demi-lunes rouges.
18Au-delà
de cette polarisation autour des grandes zones géographiques
(mer/continent), plusieurs djinns échappent à toute classification
exclusive. Comme beaucoup se retrouvent dans différents contextes,
certains spécialistes font remarquer que les djinns se fréquentent les
uns les autres et envisagent parfois la possibilité de se marier. Ces
unions sont connues des maîtres : elles ont donné naissance à certains
djinns métisses. Ces djinns ne se font pas connaître comme les côtiers.
Plus insaisissables, ils affectionnent la dissimulation et la
simulation. C’est le cas de Vula, Bedui et Kilima. Vula et Kilima sont
originaires de la région du Kilimanjaro en ligne paternelle et de la
région côtière en ligne maternelle. L’un et l’autre aiment les danses et
montent à la faveur de chants tambourinés (principalement des
« tambours de basques » matari). Leurs chants sont souvent
rimés. Ce qui les distingue est parfois dérisoire vu de l’extérieur :
Vula aiment les « noix de coco fraîches » dafu, « l’eau de rose » marashi, le fruit du mkungu « Heritiera littoralis », et boit aussi du sang de poulet. Quant à Bedui, c’est un côtier d’adoption puisqu’il est né sur le continent. Son comportement est réputé versatile.
Les shetani en action
19Les shetani
se manifestent dans trois occasions différentes, selon la nature du
cadre rituel retenu pour les faire venir. L’institution comprend en
effet deux pôles essentiels. L'un, très secret et plus individuel,
côtoie la divination et une certaine forme de chamanisme : c’est le
rituel zinguo. L'autre, plus solennel et public, avec initiation, donne lieu à fumigation et théâtralisation par les djinns : c’est le pungo.
Entre ces deux formes existe un solution intermédiaire, réservée aux
adeptes habitués d’un culte de possession, pour la plupart déjà initiés
et issus d’une même communauté cultuelle : il s’agit du chuchizo. Seul le pungo doit se dérouler dans une « aire de culte » kilinge, placée sous la souveraineté d’un maître. Une aire de culte est toujours composée de deux parties : le kilinge proprement dit ou « salle de possession », et le « cabinet de consultation » hanga où le spécialiste reçoit et s’entretient avec ses consultants.
20Dans le zinguo,
un maître (qui n’est pas nécessairement un maître de culte) va à la
rencontre de son propre djinn pour l’interroger : il le « fait monter en
lui » kujipandisha de manière quasi extatique, souvent pour
résoudre un problème inhérent à la parenté du consultant. Un dialogue
s’établit entre l’officiant « insufflé » et le djinn de son patient qui
formule ses griefs, proteste d’avoir été négligé ou d’avoir été écarté
de certaines événements familiaux (naissance d’un enfant, décès d’un
parent, etc.). Dans ce cas, le rituel se résume à peu de chose : seuls
comptent les chants, quelques bâtons d’encens et les présents destinés
au djinn consulté. C’est la raison pour laquelle il ne dure que quelques
heures. Si un djinn se plaint, par exemple, de ne pas connaître le
dernier né de la famille, il suffira de le lui présenter tout en lui
offrant des présents en guise de réparation.
21Un zinguo est un acte privé qui s’apparente à la « divination » ramli. Il en diverge par les techniques utilisées. La divination se fait par les « baguettes conjointes » mawano ;
dans ce type de pratiques, consultant et devin dialoguent grâce aux
mouvements de baguettes biseautées à leur extrémité et qui s’écartent ou
se rejoignent pour répondre aux questions posées par le devin. La
recherche progresse ainsi au fur et à mesure des interrogations : la
découverte des causes secrètes et invisibles de l’infortune conduit le
devin à orienter le consultant vers un autre spécialiste
(contre-sorcier, maître de cultes, etc.). Si l’oracle ne permet pas
toujours d’accuser un homme, un sorcier ou des djinns, il fournit en
tout cas des présomptions sérieuses. Zinguo et ramli permettent
de faire apparaître les relations cachées entre des phénomènes et de se
renseigner sur les recours rituels possibles ou sur la nature des
offrandes à faire pour apaiser un djinn.
22Le chuchizo
a une dimension moins intime. Il est plus communiel et se fait souvent
au domicile d’un des adeptes du culte (il peut se faire dans un lieu de
culte, mais plus rarement). Il s’agit d’une célébration de souvenir
réservée aux membres d’un même « lieu de culte » et organisée de manière occasionnelle. Les affiliés se réunissent pour faire monter leurs djinns, souvent
le temps d’une après-midi. L’initié le plus âgé fait office de maître
de cérémonie ; en effet, la présence d’un spécialiste n’y est pas
toujours nécessaire. La dimension thérapeutique est presque toujours
absente de ce rite.
23Seul le pungo
exige une organisation matérielle et de longs préparatifs : il s’agit,
dans la plupart des cas, de regrouper en un même lieu de culte tous les
initiés et les novices de l’année rituelle en cours. Il dure plusieurs
jours (souvent trois) et doit être placé sous l’autorité d’un ou de
plusieurs maîtres. De nos jours, un pungo n’a lieu que deux fois par an, généralement pendant le mois qui précède et qui suit le ramadan. Un pungo
peut remplir plusieurs fonctions : thérapeutique, initiatique et
symbolique (consécration des postulants au culte, transmission de la
« maîtrise » mkoba à un nouveau spécialiste, etc.). Enfin, il
faut préciser qu’aucun rituel ne peut avoir lieu pendant la période du
ramadan. Les lieux de culte sont tenus de fermer leurs activités un mois
avant le jeune (on « ferme le sac » : kufunga mkoba). Ils reprennent leurs activités un mois après (« ouvrir le sac » kufungua mkoba). L’arrêt et la reprise des activités s’accompagnent de grands rituels (souvent pungo).
24Les « chants » nyimbo
constituent la pièce maîtresse de tout le dispositif rituel (dans ses
trois modalités). Tout le monde chante, initiés et maître. Sans eux, il
n’est guère possible de faire venir les djinns6. Ces chants commencent toujours par un « prologue » anzia et sont ponctués de « transitions » virongo (sg. kirongo) permettant
de passer d’un chant à l’autre. Le prologue permet de sonder les djinns
présents, manière de les intéresser, de les éveiller avant de les
solliciter individuellement. Une fois qu’un chanteur reconnu pour ses
talents a donné le prologue, les participants chantent ensemble pour
chacun des djinns qu’on désire appeler. On fait ainsi alterner divers
chants, visant un djinn puis un autre jusqu’à l’obtention des signes
d’une possession.
25Dans un culte de possession, on distingue le « maître » mganga, les « initiés » wateja7 (sg. mteja) et les novices. Le mganga n’est pas toujours qu’un guérisseur ; c’est un « maître » mwalimu, un « spécialiste » mtaalamu.
Il peut être chaman, devin et anti-sorcier. Sur la côte, il est attendu
qu’il ait de bonnes connaissances coraniques. Beaucoup établissent
parfois une différence entre les « maîtres traditionnels » waganga wa uriro (maîtres / de / tradition) qui se transmettent la maîtrise (« le sac » mkoba) de génération en génération, et les « lecteurs coraniques » waganga wa mjarabati (maîtres / de / livres)
dont les compétences s’acquièrent auprès d’un lettré (maître coranique
ou cheikh). L’initié est subordonné à son maître mais la relation
hiérarchique est souvent placée sous le signe d’une certaine affection ;
en parlant de leur maître, beaucoup d’initiés utilisent le mot « papa »
baba. Certes, l’initié « est au service » kutumikia de son maître, c’est toujours un « messager » kijumbe, c’est-à-dire un intermédiaire entre les novices et leur maître. Le rôle de l’initié est d’introduire le novice dans le lieu de culte et de lui administrer les traitements d’usage. D’ailleurs, lorsqu’un maître consacre un novice, il lui donne son consentement sous la forme d’une « gratitude » uradhi. Dans le même registre, la relation entre un djinn et son « siège » kiti (le possédé auquel un djinn est attaché) est qualifiante car toujours envisagée comme une « éducation » malezi. C’est dans le domaine de l’organisation matérielle du culte que les inégalités sont les plus fortes. Un initié qui désire un chuchizo aura juste à payer les ingrédients entrant dans la composition des offrandes faites à son djinn s’il veut le faire venir. Il n’en va pas de même pour le novice qui aura à assurer lui-même tous les « frais » garasi nécessaires à son initiation : achat des « vêtements liturgiques » jezi,
des articles (encens, eau de rose, benjoin) et aliments rituels. Une
parité complète entre novices et initiés s’observe uniquement lorsqu’il
s’agit d’organiser le rituel annuel d’ouverture ou de fermeture de
l’aire de culte. Dans les autres situations, la « contribution » mchango est fonction de la position de chacun dans le lieu de culte.
26Un
novice est par définition quelqu’un qui participe pour la première fois
au déroulement d’un rituel dans un lieu de culte. Une fois accepté dans
un lieu de culte, le patient est introduit dans une « hutte de
fumigation » guruba où il inhale les vapeurs d’une « marmite » nyungu dans laquelle ont été plongées des plantes médicinales8. Cette opération peut être répétée trois fois par jour lors du pungo.
Elle s’accompagne de chants et/ou de danses ; ce sont les initiés qui
ont la responsabilité des novices et qui les suivent dans leur
initiation. Le dernier jour, les novices participent aux danses de
possession qui achèvent le cycle rituel9.
27Parmi les initiés, seuls quelques candidats pourront poursuivre et accéder à la « maîtrise » uganga, sous la férule d’un maître10.
Deux étapes sont généralement observées pour mettre à l’épreuve le
candidat : une étape d’admission destinée à vérifier les dispositions à
être réellement possédé ; l’apprenti en transe doit retrouver un objet
(livre, chasse-mouche, calebasse etc.) caché par le maître : c’est à son
djinn de le guider dans cette recherche. Une étape d’agrément consiste
ensuite pour l’essentiel à transmettre les savoir-faire et la
connaissance des pharmacopées traditionnelles. Le candidat accompagne
son maître en brousse où il apprend à respecter les « interdits » miiko (sg. mwiko)
et les usages indispensables pour contrôler la puissance des djinns.
Parmi certaines prescriptions, notons le fait de respecter les interdits
sexuels pendant quelques jours (le temps de l’initiation), de se
dévêtir avant d’arracher certaines racines, de ne saluer personne en
brousse, de fermer les yeux lorsqu’on coupe l’écorce de certains arbres
ou lorsqu’on les frappe pour en faire tomber les feuilles ou les fruits,
de ne ramasser que les feuilles ouvertes et tombées sur le dos, de
marcher à reculons ou ne pas se retourner lorsque l’on sort de brousse,
de revenir au village sans parler, etc. Ce n’est qu’à l’issue de cette
initiation que l’impétrant « reçoit l’agrément » kupewa kalamu (recevoir / stylo) (ou kupewa kilemba (recevoir / turban) de son maître.
28Pour
que les djinns prennent possession de leurs élus, les initiés doivent
être habillés selon les usages de chaque djinn. Ils dansent et chantent
pour encourager leur venue. En ceci, leur comportement se distingue de
celui des novices. Les initiés ont appris à contrôler leur « possession »
kusikilwa ; ils n’ont guère besoin de dialoguer avec leurs
djinns. Il n’en va pas de même pour les novices, en particulier pour
ceux dont il n’a pas été possible d’identifier le djinn perturbateur. Le
maître pourra donc profiter de la crise de possession pour interroger
le djinn inconnu et s’entretenir avec lui. A ce moment précis, le djinn
s’exprime par la bouche de la personne qu’il possède, soit pour exiger
un sacrifice ou prescrire un interdit, soit pour rappeler qu’une
obligation n’a pas été observée, manquement nécessitant réparations et
offrandes. Dans la plupart des cas, ces réparations prennent la forme
d’un « plateau de nourriture » chano ou ngao, apporté dans les tout derniers instants du rituel. Une fois satisfait, le djinn « se calme » kupoa.
29Un
initié et un novice pourront accepter de se faire soigner dans un lieu
de culte mais il leur faudra pratiquer le culte régulièrement (au moins
une fois par an). En cas de manquement rituel, le djinn peut devenir
nuisible. Chaque djinn a ses interdits et ses « règles » masharti (parfois ratiba) que les adeptes doivent « respecter » kufuata amri (suivre / ordre).
Par exemple, les djinns blancs sont sensibles au respect de la prière
musulmane ; lorsque leurs possédés s’y dérobent, ils leur arrive souvent
de s’en prendre à un membre de leur famille (souvent un enfant, qu’ils
peuvent tuer). D’autres, comme Bedui, sont réputés impatients et ne
transigent jamais avec la règle ; ce djinn a en effet la réputation de
pouvoir « sucer » kunyonya le sang de ses victimes (souvent une
chèvre) avant même qu’on les ait immolées. Un djinn peut également
léser un spécialiste qui accepterait le pot-de-vin d’un patient désireux
d’en découdre avec une autre personne ; un maître qui abuserait de ses
patientes s’exposerait aussi à des représailles car, dans ce cas, le
djinn peut refuser de se manifester dans le cours du rituel. Les
interdits formulés par les djinns peuvent donc être de différentes
natures et concerner la vie de tous les jours (ne pas sortir à telle
heure, faire du petit bois le matin, se rendre au puits en soirée,
etc.). Il est dès lors normal que ces djinns « gardiens » askari prennent l’allure de redoutables cerbères.
30Pour
expliquer ces relations ambivalentes entre djinns, certains
spécialistes n’hésitent pas à rappeler la nature du contrat d’échange
que les djinns ont passé entre eux : les continentaux n’ont pas de sel,
voilà pourquoi ils viennent sur la côte ; quant aux côtiers, ils n’ont
pas ou peu de plantes médicinales, voilà pourquoi ils vont sur le
continent. Mais cette ambivalence se manifeste aussi au niveau de leurs
mœurs : Mzungu et Kamanda se ressemblent et exercent les mêmes fonctions
de défense ; on dit d’eux qu’ils constituent la garde armée des autres
djinns. De même Bedui et Kilima empruntent souvent les mêmes chants ;
Darwesh, outre le fait qu’il recourt au dhikr, utilise aussi
des chants propres à Bedui. En somme, même dans la danse, les djinns
peuvent se bousculer comme s’ils cherchaient à prendre la place des
autres. C’est particulièrement vrai lorsqu’un djinn vient pour la
première fois et qu’il cherche à se faire passer pour un autre (Mzungu
peut imiter les façons de faire de Bedui ou de Kamanda car tous les
trois font des « parades »). Cela dit, il arrive parfois que les chants
ne soient pas destinés aux djinns mais aux novices ou aux initiés qui ne
veulent pas se soumettre aux desiderata du maître de culte ou qui ne le
respectent pas ; dans ce cas, ce dernier compose des épigrammes qui
ressemblent à des chants de djinns mais qui sont en fait des « traits
d’esprit » mafumbo (sg. fumbo), destinés à réprimander
le comportement de certains initiés. D’autres chants sont simplement
destinés à provoquer une certaine exaltation ou à relancer une ferveur
qui s’est relâchée (fonction phatique). Toutes ces manifestations
d’ambivalence ne sont pas faites pour réduire l’impression d’opacité que
l’on ressent lorsqu’on entre pour la première fois dans une aire de
culte.
31Les shetani,
quelle que soit leur catégorie d’appartenance, sont comme les êtres
humains : ils meurent lorsqu’ils sont agressés, lorsque la Providence en
a décidé ainsi, ou lorsqu’ils sont persécutés par d’autres djinns dans
un lieu de culte. Mais ces « djinns qui meurent » jini walinsi resteront souvent dans la parenté même en cas de décès de leurs insufflés. La disparition d’un shetani est un sujet de grande inquiétude pour ceux qui ont pris l’habitude de vivre en étroite relation avec lui. Tout shetani
peut mourir un jour ou l’autre ; la possession ayant horreur du vide,
l’adepte se retrouve subitement dépourvu du « système immunitaire »
qu’il a appris à construire progressivement au contact de ses djinns et
devient vulnérable. Mais il peut compter sur « l’habitude » uzoefu, car un shetani a deux propriétés fondamentales :
il est mémoire et langage. En s’exprimant par la voix du djinn,
l’adepte a appris à se relier aux autres, créant ainsi dans le cours de
sa transe un monde inédit avec ce qu’il doit aux autres. Une
longue familiarité avec les djinns permet donc de distinguer le
noviciat de la maîtrise. La mort d’un djinn ne peut être vécue de la
même manière par un jeune candidat au culte et un maître exerçant son
métier depuis longtemps. Pour le maître, elle n’est qu’une absence car le « souffle » upepo
du djinn disparu lui survit souvent. Il suffit de le faire revivre par
cette disposition qu’il a acquise à son contact. Celle-ci, souvent
ressentie comme un transport involontaire, est considérée par beaucoup
comme une aptitude à mettre en œuvre une résistance passive aux djinns
néfastes. Qui est attentif aux manifestations de ses propres djinns peut
vite se rendre compte de leur disparition. Un shetani se manifeste de plusieurs manières : dans les « rêves » ruya,
il suggère des traitements, il nous indique des thérapies pour soigner
certaines maladies, et dans la vie de tous les jours, il se comporte
comme un vigile : lorsqu’un « sorcier » mchawi veut jeter un sort, lorsqu’un « jeteur de sorts » wanga11
rôde la nuit pour jouer un mauvais tour, lorsque quelqu’un est venu
chez moi en mon absence, mon djinn est aux aguets, me réveille, me tient
au courant et me protège. Sans le formuler explicitement, la plupart
des possédés prennent soin de leurs djinns pour se prémunir de la
sorcellerie sans avoir à recourir à un spécialiste.
La sorcellerie par les djinns mizuka
32Les shetani, nous l’avons vu, « obéissent à la loi divine » amri ya Mungu (ordre / de / Dieu) et en sont l’émanation. D’autres, de manière assez surprenante, sont créés par l’homme puis « élevés » kufuga et « envoyés » kupelekewa dans un but maléfique : ce sont les mizuka (du verbe kuzuka, « inventer, créer »). A la différence des premiers (shetani), leur « lueur » nuru (parfois nungu) ou encore « étoile » nyota, c’est-à-dire leur principe vital, est faible. On dit aussi qu’ils n’ont pas « d’âme » roho (on les appelle parfois jini wal’inbiai). Ils ne peuvent changer de « siège » à l’instar des shetani. Ils
sont dangereux car lorsqu’ils échappent au contrôle des hommes, le
risque est grand qu’ils jettent leur dévolu sur n’importe quelle proie.
Leur action est de l’ordre de la dévoration, du vampirisme. Seul un
spécialiste peut détecter le djinn et le « lécher » kuramba, c’est-à-dire le faire disparaître.
33Les techniques utilisées pour faire naître des mizuka (sg. mzuka) sont, quant à elles, redevables des connaissances acquises dans l’enceinte des centres de cultes pour invoquer les shetani. Outre les chants, les maîtres de culte ont aussi recours à des « dessins » tarasimu,
c’est-à-dire des dessins représentant l’effigie des djinns
régulièrement invités dans la transe. Ces dessins, autour desquels
s’ajoutent quelques versets coraniques, sont ensuite suspendus au
plafond de la salle de possession. Ils sont faits pour attirer les djinns dans l’espace de l’aire de culte. Le
principe est donc simple ; il n’est guère étonnant que les sorciers
(qui peuvent être aussi des maîtres de cultes) cherchent à utiliser
(quitte à en détourner la fonction) ce procédé à des fins maléfiques12. Enfouis dans le sol, ces paperoles deviennent d’une efficacité redoutable pour qui les piétine. A ce moment en effet, le mzuka (qu’on appelle alors kipeipai)
passe à l’attaque. C’est ainsi que beaucoup de petits épiciers
expliquent la raison de leur faillite en affaire. On peut se demander
toutefois si cette forme d’agression n’est pas la réinterprétation d’un
procédé plus ancien, consistant de manière identique à utiliser une
petit piège à poison, placé sur un chemin pour ensorceler un voisin ou
un parent. Une autre forme d’agression, tout aussi inquiétante, consiste
à envoyer un gros papillon pour espionner et écouter les conversations
qui se déroulent dans une maison... Le mzuka n’est-il pas la reformulation moderne de ces deux procédés de sorcellerie ?
34Ces mizuka
se manifestent sous des apparences variées et changeantes (animaux,
êtres humains) et proviennent d’une instrumentalisation du texte
coranique. On les contrôle en les confinant dans une bouteille et en
« les disciplinant » pour les faire agir sur la personne désignée par le
maître. Le djinn est ainsi prêt pour déclencher un malheur. Une fois sa
mission et ses forfaits accomplis, il s’épuise et « perd son énergie » kufifia nuru (estomper / lumière) (on dit aussi qu’il « fond » anayeyuka).
Cette espèce de magie volontaire maléfique resterait dans la sphère des
pratiques privées si le djinn n’échappait pas parfois au contrôle de
son maître. Les conséquences peuvent en être funestes car, pour
survivre, le mzuka doit s’en prendre à d’autres victimes.
Vaches, chèvres et parfois êtres humains peuvent alors faire les frais
de ses furies. Pour l’intercepter et remédier à son influence néfaste,
le recours à un maître est nécessaire.
35Il
en fut ainsi en février 2006, lorsqu’un rituel fut organisé à Kisiwani
alors que le village venait d’essuyer une série de calamités : mort
inexpliquée de chèvres et de vaches, évanouissements nombreux.
Lorsqu’une jeune fille tomba dans un puits, chute qui provoqua sa mort,
les notables et les aînés du village se réunirent pour palabrer et
décidèrent de recourir à un spécialiste extérieur au village. Un maître,
résidant à Masoko, vint s’installer quelques jours à Kisiwani et rendit
son verdict : il s’agissait d’un djinn errant de la famille des mzuka. Quelques jours plus tard, le maître fit venir ses auxiliaires et organisa un « rituel de désenvoûtement » zindiko. Il fit immoler une chèvre, une poule et un pigeon. Le « sang de ce sacrifice » muwanga
fut recueilli dans quatre bols qu’on alla déposer en des lieux tenus
secrets mais correspondant aux quatre coins cardinaux du village. Mais
le remède échoua car le lendemain matin, le sang (auquel le spécialiste
avait mélangé un stupéfiant) n’avait pas été consommé. Aussitôt, le
maître se mit en chasse du djinn, parcourant le village d’un bout à
l’autre et parvenant à le débusquer après une longue battue chamanique –
le maître chaman grimpa dans un baobab, descendit dans la fosse d’une
latrine et dans un puits pour en extirper l’effigie du djinn recherché13.
36Les mizuka
sont conçus de façon à renouveler l’énergie et la force de celui qui
les contrôle. Mais l’agression sorcière peut se faire aussi par le biais
de djinns destructeurs qui peuvent s’affronter dans les aires de culte ;
toutes espèces de djinns confondues peuvent en effet se livrer, il est
vrai plus rarement, à une guerre sans merci. Un mzuka peut, lui
aussi, s’introduire dans une aire de culte et tenter d’abattre le
« système immunitaire » d’un possédé (c’est-à-dire ses djinns). Le but
est clairement avoué : il s’agit de détruire les défenses d’un individu
envié par un sorcier. Une fois l’adversaire invisible détruit, le
possédé attaqué se trouve déstabilisé et risque de succomber à ce qui
est vécu comme une hémorragie mystique. Ces mésaventures conduisent
certains possédés à croire qu’il est possible de ravir et de
« séquestrer » kunyanganya les djinns d’un être humain tout
comme il est possible, dans d’autres régions d’Afrique, de s’emparer
directement de sa force vitale. Des maîtres (d’origine côtière)
prétendent cependant que ce n’est possible que dans certaines
conditions : lorsqu’on envoie un mzuka plus puissant. Mais ce
mode d’action reste improbable si le djinn envoyé « tombe amoureux » du
possédé. Dans ce cas, toutes les conditions sont réunies pour que le
djinn s’installe et se dérobe à la mission qui lui a été confiée. On
voit que la nocivité d’un mzuka peut être détournée de son but.
Et s’il n’est guère possible de le faire monter, deux solutions peuvent
alors être envisagées pour s’en débarrasser : le laisser mourir ou le
détruire. Une simple tablette coranique suffit généralement à s’en
défaire.
Ambivalence et mutations
37On voit, à l’issue de cet exemple, ce qui sépare les mizuka des shetani.
Les premiers sont des êtres instables et incapables de se fixer sur un
objet ; en ceci leur mode de déplacement et d’action se caractérise par
la divagation et la défection. Quant aux shetani, plus enclins à épouser les dispositions profondes de leurs insufflés, tout les rend sujets à une forme d’évagation14.
Certes, l’un et l’autre constituent des forces ambivalentes et
versatiles. Aucun n’est en soi ni bon ni mauvais ; tout dépend des
circonstances dans lesquelles ils se manifestent. Mêmes les plus
hostiles et malfaisants peuvent être transformés en créatures bénéfiques
(il est possible de créer des mizuka pour se protéger de l’agression d’autres djinns ou de sorciers ; un mzuka peut lui aussi, il est vrai plus rarement, tomber « amoureux »). Le mzuka
est plus volatil, circule en permanence d’un lieu à l’autre et se
montre insaisissable. C’est un djinn plus indifférent aux
particularismes locaux, aux vases clos, à l’univers des ancrages et des
appartenances communautaires. Il n’est pas étonnant d’ailleurs qu’on
puisse le manipuler de très loin, dans l’anonymat le plus complet. En
revanche, le djinn divin reste attaché à un lieu, une lignée, un
terroir. Une grande familiarité et une longue expérience avec lui,
acquise dans le cadre du rituel, sont nécessaires si l’on veut éviter
les pires déconvenues.
38Un
rituel de possession a pour objet la concentration et la diffusion de
la force vitale qui serait, en dehors de ce contexte, diffuse et
incontrôlable. Les shetani sont, à cet égard, l’enjeu d’une
lutte régionale pour la définition du mode le plus légitime de
circulation de ces flux invisibles (d’où les oppositions
côte / continent ; pur/impur ; blanc / noir etc.). Mais si le rituel
n’était que cela, il ne nous permettrait pas de comprendre pourquoi les
Swahili lui associent aussi des croyances qui sortent de ce cadre. Un mzuka
est précisément un djinn dont les forces occultes se déplacent en
dehors des limites de l’épure rituelle. Cette évolution récente du
phénomène est contemporaine d’une série de mutations convergentes dans
le domaine des croyances en la sorcellerie. Traditionnellement, la
sorcellerie était souvent pratiquée dans la famille étendue15 par des individus connus pour être malfaisants (« sorcier » mchawi)
parce que possédant un principe immatériel nuisible. Son schéma général
reposait sur l’anthropophagie. Elle consistait principalement en la
manipulation d’objets maléfiques faits de parties de corps
humain (sperme, chair en décomposition, sang, os, cheveux, etc.), censés
avoir été acquis à la faveur de banquets nocturnes organisés par de
puissantes sociétés secrètes occultes (parfois appelées ging’ing’i).
Pour que la puissance de ces sociétés se renouvelle, les sorciers
devaient être « nourris » de sang humain. Pour ce faire, toute nouvelle
recrue devait offrir un de ses enfants en sacrifice. Si ces pratiques
sont encore parfois constatées, elles sont néanmoins en déshérence. En
revanche, de nombreux témoignages font état aujourd'hui de pratiques
sorcières inédites se manifestant par l’exercice d’un pouvoir occulte
sur les autres. L’individu victime d’un sort se trouve alors « dépossédé
de ses facultés » kuzugwa, incapable de réagir et de
comprendre ce qui lui arrive, comme s’il avait subi un lavage de
cerveau. Réduit en esclavage, il s’épuise la nuit dans un labeur sans
fin, travaille dans le champ de son nouveau maître et s’expose à dépérir
si rien n’est fait pour le délivrer. Ce « zombie » ndondocha, devenu
par définition impuissant, est exploité pour déposséder les autres et
rapporter au sorcier les ustensiles et les « biens maléfiques » usengo (parfois msengo)
dont il a besoin pour s’enrichir. Ce faisant, il permet à son maître
d’accumuler des biens dérobés au loin (on parle de « butin » hazina),
dans des espaces marchands ou auprès d’individus connus pour leurs
richesses. Pour agir, les zombies sont abreuvés de sang
« d’engoulevent » narumbapara ayant servi à l’écriture de
versets coraniques. Ce procédé aurait la vertu de les rendre invisibles.
On saisit toute la portée de ce subterfuge magique. Nul besoin ici de
tuer ses proches car la sorcellerie n’agit plus comme principe
anthropophagique mais comme moyen d’assujettissement. Elle dévitalise
l’individu ensorcelé en provoquant une espèce d’acédie inexpliquée
conduisant à l’amaigrissement et, si rien n’est fait, à la mort.
39Ces évolutions du phénomène sorcier sont à mettre en relation avec la place croissante qu’occupent les mizuka
dans l’univers des djinns. Car la sorcellerie par envoûtement,
pratiquée dans la proximité, laisse progressivement la place à des
formes plus englobantes nécessitant le recours à des djinns sorciers, ce
que peuvent être les mizuka. Ces changements apparaissent alors que de nouvelles peurs se font jour. A la crainte « d’être désavoué » kukosa radhi (manquer / gratitude)
par ses parents proches lorsqu’il faut quitter le village pour aller
s’installer en ville, se substitue de plus en plus celle de les oublier
ou de les négliger lorsqu’on est loin. La manière dont les Swahili
conçoivent l’invisible est révélatrice des changements d’échelle que
connaît la société. La sorcellerie anthropophagique d’autrefois est de
moins en moins fonctionnelle dans un monde d’exode rural ou de grande
mobilité. Dans cette nouvelle conjoncture, le désir d’appropriation des
richesses nouvelles, l’irruption du négoce dans les zones rurales les
plus reculées et les phénomènes de capitalisation exacerbent les
tensions et réamorcent la croyance qu’il est possible de réaliser dans
l’invisible ce qu’il est difficile de concrétiser dans le tissu des
relations communautaires. Il n’est guère étonnant, dans ce contexte de
changements, que les gens optent pour des solutions symboliques et
imaginaires mieux adaptées aux enjeux du moment. La fantasmagorie de la
dévoration dans le tissu communautaire ne répond plus de nos jours aux
angoisses nées de l’intensification des échanges humains et des flux
marchands. Dans ce contexte, mizuka et zombies – vampirisme et asservissement – sont
au cœur d’une vision du monde où l’obliquité des médiations invisibles
continue de fournir une des clefs d’accès à la compréhension de l’homme.
Bibliographie
BACUEZ, P., 2005, Forte con sordina : transes swahili, dvd, 40 min.
BACUEZ, P., 2006, Par les bois du djinn tonique : désenvoûtement à Kilwa, dvd, 60 min.
BACUEZ, P., 2006, Allegro barbaro : transes swahili, dvd, 25 min.
Annexe
Tableau récapitulatif des différents shetani
|
||
Shetani côtiers
|
Shetani continentaux
|
|
Blancs / Rohani
|
Couleurs vives
|
Couleurs sombres
|
Pur (ablution)
|
Pur / impur
|
Impur
|
Tunique blanche
|
Costume uniforme
|
Costume traditionnel
|
Turban
|
Botte, basket
|
Pagne noir
|
Ordre
|
Désordre (folie)
|
Désordre (saleté)
|
Dhikr
|
Tambours de basque
|
Tambours
|
Danses (parade)
|
Danses (tradition)
|
|
Swahili
|
Swahili
|
Langues africaines
|
Arabe
|
Langues européennes
|
|
eau de rose, sirop d'orange, cardamone, datte, sucre, café
|
miel sauvage, sorgho, biscuit, cigarette, soda
|
miel sauvage, racines sauvages, manioc, canne à sucre, banane plantain
|
Lectures coraniques
|
Plantes / fumigation
|
plantes, alcool
|
Djins introvertis
|
Djins extravertis
|
Djins extravertis
|
Notes
1 Je
ne présente ici que des documents d’étude issus d’entretiens et
d’observations menés dans la région de Kilwa. Les villages concernés par
l’enquête sont : Masoko, Pande Ploti, Namwedo, Nakimwera.
2 Un
djinn peut surgir alors qu’il n’est pas appelé, soit parce que les
chants qui servent à le faire venir se ressemblent, soit parce que
certains djinns, comme nous le verrons plus loin, affectionnent
particulièrement le désordre ou la ruse.
3 Cette
liste est indicative et non exhaustive. Il faudrait toute une
monographie pour en faire l’inventaire. Un tableau récapitulatif est
donné à la fin de l'article.
4 Les rohani
ne s’aventurent pas sur le continent (c’est pourquoi ils sont toujours
en blanc, le rouge étant la couleur d’une double appartenance). Sur le
continent, c’est Lipuga, djinn noir, qui domine et préside toutes les cérémonies.
5 Le dhikr
est à l’origine un exercice de piété pratiqué dans le cadre de la
mystique musulmane. Sur la côte swahili, il consiste en un ensemble de
récitations rythmées et de chants constitués pour l’essentiel de longues
psalmodies accompagnées d’expirations rauques et de mouvements des bras
de haut en bas. La pratique du dhikr dans la transe de
possession (c’est-à-dire en dehors de son contexte d’élaboration et
d’usage) est pour le moins surprenant. Elle signale de manière éloquente
une contiguïté de l’extase mystique et de la possession.
6 Il est d’ailleurs significatif que chamanisme et possession en font le même usage.
7 Aucun
terme n’est tout à fait satisfaisant pour désigner l’état d’une
personne sous l’emprise d’un djinn ; obnubilé (dans le sens d’être privé
de discernement et de lucidité) convient parfois pour désigner
l’impression d’obscurcissement ressentie par les adeptes ; insufflé
(dans le sens de communiqué par le souffle) est également plus proche du
swahili pour qualifier la transe des djinns blancs.
8 En échange d’une rétribution perçue par le maître, l’initié s’occupera de préparer la décoction des plantes médicinales constitutives du nyungu. Ce traitement leur est administré pendant le rituel pungo.
9 On
dit que le djinn ne vient qu’à ce moment précis parce qu’il a compris
qu’on s’occupe de lui, qu’on lui fait confiance. Certains spécialistes
n’hésitent pas à parler de relations amoureuses entre le djinn et son
insufflé.
10 Certains spécialistes vont jusqu’à admettre que ce sont les djinns qui les désignent.
11 Escamoteurs malfaisants, individus mal intentionnés, de mauvais aloi ; réputés vils et lâches, les wanga sont d’habiles prestidigitateurs pratiquant une sorte de magie appelée kiini macho ou mazigaombwe ; ils sont connus pour se métamorphoser en simples « souches d’arbres » mfukutu lorsqu’ils sont dérangés ; les « sorts qu’ils jettent » kudangadanga sont souvent sans effet.
12 Tous les djinns ne sont pas susceptibles de prendre la forme de mizuka ; parmi les plus utilisés figurent Almaiti et Bedui.
13 L’affaire
n’en resta pas là ; le maître chaman, ayant accompli son travail, se
retira. Mais les jeunes générations du village réclamèrent la tenue de
« l’ordalie » al badiri, ce que les aînés du village refusèrent, prétextant qu’on ne pouvait les contraindre à « jurer sur le Coran » kuapiza.
Le maître coupable d’avoir « lâché » son djinn meurtrier ne fut guère
inquiété et reprit le cours de ses activités. Beaucoup s’étaient promis
de brûler sa maison et de le chasser du village, mais ces menaces
restèrent sans effet...
14 Évagation :
« disposition de l'esprit qui l'empêche de se fixer à un objet. Il ne
s'emploie guère qu'en termes de spiritualité ; la divagation est la
disposition qui empêche l'esprit de se fixer à un objet quelconque ;
l'évagation, celle qui l'empêche de se fixer à l'objet qui devrait
l'arrêter » (Littré).
15 Certains se souviennent encore du proverbe : kikuu macho kiko nguo, « ce qui est fort (grand) se trouve dans tes propres affaires (vêtements) ».
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