Sa « schizophrénie » était due… au chat
L’histoire débute en octobre 2015. Relatée dans un article du Journal of Central Nervous System Disease
publié en ligne le 18 mars 2019, elle concerne un enfant de 14 ans
jusqu’à lors en bonne santé. Celui-ci présente une pathologie
psychiatrique avec le sentiment d’être débordé. Il est confus, déprimé,
agité, et affirme qu’il est le « mal, le fils damné du diable ».
Il veut se tuer car il redoute que les idées de meurtre qui
l’assaillent depuis peu puissent causer du tort à ses proches.
Hospitalisé en urgence dans un service de psychiatrie, il est traité
pour épisode dépressif majeur accompagné de signes psychotiques. Sortant
de l’hôpital une semaine plus tard, il présente encore quelques signes
de psychose mais ses idées de suicide et d’homicide ont disparu.
Cet
enfant avait déjà fait une dépression à l’âge de 9 ans. Selon ses
parents, cet épisode était dû au harcèlement scolaire dont il était
victime. Extrêmement brillant mais mal à l’aise en société, il avait
alors été traité par antidépresseur et avait changé d’école. Admis dans
un établissement pour enfants précoces, il avait présenté ensuite une
rémission complète de sa dépression.
Cinq
ans plus tard, âgé de 14 ans, il présente donc des symptômes
psychiatriques. Il se portait très bien jusqu’à alors, étant actif sur
le plan social, sportif et scolaire. Il avait même participé à des
concours en géographie et en histoire, avait tenu le rôle principal dans
une pièce de théâtre, avait remporté un prix à l’escrime et avait
d’excellentes notes à l’école.
Nombreux animaux domestiques
Sa
famille réside dans une zone périurbaine dans un état du Midwest.
Celle-ci possède de nombreux animaux domestiques : deux chats, un chien,
un gecko (lézard tacheté), et un mille-pattes géant africain. Le garçon
a été mordu et griffé par les chats avant de tomber malade. La famille a
déjà été exposée aux puces d’un chien, à des tiques, de même qu’aux
moustiques et aux araignées. Par ailleurs, elle a voyagé dans de
nombreux états des Etats-Unis au nord-est, au sud-est et à l’ouest et
s’est rendue à deux reprises au Mexique.
Quelques
semaines après son hospitalisation en psychiatrie en octobre 2015, les
symptômes de l’enfant s’aggravent. Il n’est plus en mesure d’aller à
l’école et présente des idées obsessionnelles intrusives, des phobies,
des peurs irrationnelles, une labilité émotionnelle, des accès de rage
imprévisibles et de plus en plus de pensées psychotiques. Il croit
posséder des super-pouvoirs et imagine que le chat de la famille veut le
tuer.
Schizophrénie
Outre
ce délire de persécution associé à ses animaux domestiques, il présente
des hallucinations auditives, visuelles et tactiles et refuse de sortir
de la maison. Sa mère se trouve contrainte de quitter son travail pour
s’occuper de son fils. Celui-ci est de nouveau hospitalisé en
psychiatrie en décembre 2015 pendant une semaine.
Lorsqu’il
quitte l’hôpital en janvier 2016, il présente des symptômes
somatiques : une extrême fatigue, des maux de tête quotidiens, des
douleurs thoraciques, une gène respiratoire possiblement liée à son
anxiété, de fréquentes mictions. Il reçoit alors un traitement par
antipsychotiques, régulateurs de l’humeur, antidépresseurs et
benzodiazépines. C’est alors que deux psychiatres posent le diagnostic
de schizophrénie.
Six
mois plus tard, au cours de l’été 2016, cet enfant est hospitalisé
pendant 11 semaines dans le service de psychiatrie d’un hôpital
universitaire. Il subit de nombreux examens, dont un
électroencéphalogramme (EEG) et une imagerie cérébrale par résonance
magnétique (IRM du cerveau) qui ne montrent rien de particulier. A la
sortie de l’hôpital, le diagnostic est une schizophrénie associée à un
trouble obsessionnel compulsif.
« Vergetures »
De
retour au domicile familial en août 2016, les parents remarquent que
leur enfant présente des « vergetures » sur les cuisses et les
aisselles. Les parents refusent de le faire à nouveau hospitaliser et
préfèrent que leur fils soit soigné à la maison.
Deux
mois passent. En octobre 2016, l’enfant est examiné par un neurologue
qui évoque le diagnostic d’encéphalite auto-immune au vu d’analyses
sanguines montrant un taux anormal d’anticorps anticorps antinucléaires
ANA (dirigés contre des constituants du noyau des cellules). Le jeune
patient subit une ponction lombaire dont les résultats ne montrent
pourtant rien de particulier. Il reçoit une perfusion d’un anticorps
médicament (rituximab) pour ce qui semble être alors une encéphalite
autoimmune. La durée et la fréquence des épisodes psychotiques
diminuent, mais les troubles du comportement sont toujours là.
Trois
mois plus tard, en janvier 2017, les médecins posent le diagnostic de
trouble neuropsychiatrique à début aigu chez l’enfant (Pediatric Acute Onset Neuropsychiatric Syndrome
ou PANS). Cette pathologie est définie par la survenue d’un trouble de
type obsessionnel compulsif associé à divers symptômes, tels qu’une
anxiété, une labilité émotionnelle ou une dépression, une irritabilité,
un comportement agressif.
C’est
alors qu’un médecin qui observe chez l’enfant les lésions ressemblant à
des vergetures évoque une possible neurobartonellose, autrement dit la
forme neurologique de la bartonellose, une maladie infectieuse causée
par une bactérie du genre Bartonella.
Longue errance diagnostique
Pour comprendre, il faut savoir que la bactérie Bartonella henselae
est responsable de la « maladie des griffes du chat ». Cette infection
est liée à une plaie minime, pouvant passer inaperçue, due à une
griffure de chat. Il s’agit en général d’une maladie bénigne qui évolue
spontanément en quelques semaines vers la guérison. Les chats, porteurs
sains de Bartonella henselae, donc eux-mêmes non malades, sont
âgés de moins d’un an. L’infestation par les puces joue un rôle
essentiel dans la transmission de la bactérie Bartonella henselae
aux chatons. La maladie se complique rarement d’une atteinte
neurologique. L’atteinte du cerveau (encéphalopathie aiguë diffuse) est
alors révélée par des cris, des hallucinations visuelles avec un état
confusionnel.
Un diagnostic plutôt complexe
Le diagnostic d’une infection par une espèce du genre Bartonella
est relativement complexe et s’appuie sur la réalisation de différents
examens biologiques (recherche d’anticorps dans le sérum, cultures
bactériennes, biologie moléculaire, immunohistologie sur prélèvement
biopsique). Lors de cette infection, des tests à la recherche d’une
auto-immunité peuvent revenir positifs et donc faussement induire vers
un traitement par des médicaments immunosuppresseurs. Par ailleurs, le
diagnostic est rendu difficile du fait que certaines anomalies
biologiques* classiquement retrouvées dans les analyses sanguines en cas
d’infection peuvent manquer.
Lorsque
l’enfant est examiné par un dermatologue, celui-ci confirme que la
disposition, la localisation et la couleur des stries de la peau n’ont
rien à voir avec des lésions qui se seraient formées sur des régions de
la peau soumises à une distension importante. Une biopsie cutanée est
réalisée : elle révèle une infiltration du derme par des cellules
immunitaires**. Un antibiotique (doxycycline) est administré au jeune
patient, sans attendre de savoir quelle espèce de Bartonella est à l’origine de l’infection de cet enfant.
Recherche tous azimuts de la présence de Bartonella
L’équipe
médicale propose le mois suivant, en février 2017, aux parents
d’inclure le jeune malade dans un protocole de recherche sur la
détection de bactéries Bartonella dans le sang.
Les bactériologistes vont alors partir à la recherche de Bartonella
en effectuant un grand nombre d’examens. Ils vont tenter de détecter le
matériel génétique de la bactérie par PCR. Cette technique de biologie
moléculaire consiste à amplifier le nombre des acides nucléiques, ce qui
permet de détecter le génome de l’agent pathogène recherché. Les
chercheurs vont également essayer de cultiver la bactérie en laboratoire
à partir de prélèvements sanguins, séquencer son ADN, et détecter des
anticorps sanguins dirigés contre cette famille de bactéries.
Chez ce patient, la PCR détecte effectivement l’ADN de la bactérie Bartonella henselae
dans le sang et des cultures réalisées en laboratoire à partir de
prélèvements sanguins. Le séquençage de certaines régions d’ADN
bactérien confirme que l’infection est bien due à B. henselae.
Ces divers examens indiquent donc cette bactérie est encore présente et
vivante alors même que le jeune garçon reçoit depuis deux mois
consécutifs un traitement antibiotique par doxycycline.
Antibiothérapie multiple
Le
traitement antibiotique est renforcé par l’ajout de quatre autres
médicaments***, dont la rifampicine. Cet antibiotique, administré en
perfusion, va provoquer d’intenses douleurs migratoires. Cet effet
secondaire va obliger les médecins à revoir le rythme d’administration
et la posologie de la rifampicine****. Durant l’antibiothérapie, les
médecins vont observer une diminution progressive des symptômes
psychiatriques et la disparition complète des lésions cutanées.
En
juin 2017, soit vingt mois après le début des symptômes psychiatriques,
les analyses indiquent l’absence dans le sang d’anticorps dirigés
contre la bactérie Bartonella. En revanche, l’ADN de bactéries Bartonella
mortes ou incapables de pousser en culture a été détecté par la
technique PCR sur certains prélèvements sanguins. Les médecins optent
alors pour la poursuite du traitement antibiotique du fait d’une
possible persistance de la bactérie. Les examens réalisés trois mois
plus tard, en octobre 2017, sont tous négatifs. L’infection à Bartonella semble donc totalement jugulée.
Un lourd tribut
Après
avoir manqué l’école pendant près de deux ans, l’adolescent a retrouvé
l’excellent niveau scolaire qui était le sien avant sa maladie. Il a
obtenu des « A » durant tout le dernier semestre 2017 et le premier
semestre 2018. En septembre 2018, le jeune garçon a repris l’ensemble de
ses activités, fréquente à nouveau des camarades et a même trouvé un
petit boulot à mi-temps de serveur dans un restaurant. Selon ses
parents, il s’est totalement remis de sa maladie.
Le jeune garçon et sa famille ont payé un lourd tribut émotionnel, social et financier pendant deux ans. « Outre
le stress quotidien induit par sa maladie chez tous les membres de la
famille, la mère a quitté son emploi pour lui fournir des soins à
domicile, et les animaux domestiques ont été retirés de la maison (en
raison des délires du garçon). Sur la base des demandes de règlements
des assurances et des factures payées par les parents, le coût des
diverses interventions médicales, réalisées avant que le diagnostic
d’infection sanguine par B. henselae soit établi, dépassait 400 000 $ [plus de 353 800 euros] », déclarent Edward Breitschwerdt et ses collègues de l’université de l’Etat de Caroline du Nord.
Ce cas clinique est hors norme dans la mesure où le jeune patient aura été examiné et traité par un grand nombre de médecins
(pédiatre, cardiologue, neurologue, infectiologue, dermatologue,
immunologiste, optométriste, endocrinologue, gastroentérologue) avant
que le diagnostic de sa maladie ne soit finalement posé et qu’un lourd
traitement anti-infectieux ne soit prescrit.
Que
retenir de ce cas clinique ? Tout d’abord, que la maladie des griffes
du chat, bien connue des médecins dans sa forme classique, est bien plus
difficile à diagnostiquer lorsqu’elle se présente sous la forme
neurologique, atypique. Enfin, que le diagnostic de neurobartonellose
devrait être évoqué chez de jeunes patients présentant un trouble
psychiatrique pédiatrique d’apparition aiguë (PANS) et dont les
symptômes résistent au traitement neuropsychiatrique. Cela peut éviter
de poser, chez un enfant et pendant très longtemps, un diagnostic
erroné.
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