LES ARMES NON LÉTALES


La CWC interdit donc l’emploi, en tant que moyen de guerre,d’armes non létales dont l’agent incapacitant est un produit chimique. PourMalcolm Dando, «il demeure ainsi une zone grise avec différentes interpréta-(15) Advisory Opinion of the International Court of Justice, Legality of the Threat or Use of NuclearWeapons, General List n° 95 (35 I.L.M. 809 [1996]), 8 juillet 1996, par. 78-79.
les armes non létales741tions de ce qui est permis. En somme, la question est de savoir où s’arrête lanotion de maintien de l’ordre et où débute celle de la guerre»(16). Selonl’interprétation extensive de l’Administration Clinton, l’utilisation d’agentsantiémeute était donc interdite dans les cas où des combattants étaient pré-sents, rendant cependant leur utilisation admissible lorsqu’une foule devientémeutière en l’absence de combattants ennemis (17). L’engagement demoyens anti-émeute chimiques avait en conséquence été autorisé pour laSomalie et Haïti (18).Il faut reconnaître cependant que, selon le droit international positif, lesarmes non létales chimiques ou biologiques sont interdites dans le cadre duconflit armé. Dès lors, deux cas de figure se proposent en relation avec lesarmes non létales relevant de ces deux catégories technologiques : dévelop-pement et engagement d’armes non létales dans le cadre légal actuel



734david humair et christophe perronimpact sur l’opinion publique. La protection des propres troupes et le soucid’éviter des pertes civiles ont donc vu augmenter leur poids relatif dansl’accomplissement de la mission. Pour le commandant, cette nouvelle donneimpose une réflexion plus complexe quant aux moyens engagés et aux effetsde ces moyens : en effet, le souci d’accroître la protection de ses proprestroupes ne peut passer par l’élimination indiscriminée de toute menacepotentielle sans risquer d’ébranler les conditions politiques de l’actionmilitaire ; inversement, en particulier dans un contexte où le combattant estsouvent indiscernable du non-combattant, le souci d’éviter complètementles pertes non combattantes par la limitation du recours à l’arme impliqueun risque accru pour les propres troupes et, en conséquence, pour les con-ditions politiques de l’action militaire.La possession de moyens non létaux offre donc au commandant, tant austade de la planification de l’action qu’à l’engagement, de nouvelles optionspour concilier les trois paramètres de l’équation. Privé d’alternatives nonlétales, le commandant de troupe confronté à une situation où l’ennemin’est pas clairement identifiable n’a que deux possibilités réelles d’action :ouvrir le feu en utilisant son arsenal létal et tuer des non-combattants oune pas agir et mettre en péril la sécurité de ses hommes ou l’accomplisse-ment de la mission. Les armes non létales proposent au commandant unesolution intermédiaire permettant de répondre efficacement à la menacesans toutefois recourir excessivement à la force létale ; elles ne limitent pasla liberté du commandant militaire dans son choix des moyens pour accom-plir la mission, elles élargissent la panoplie des instruments à sa disposition.Un exemple concret illustre pratiquement l’utilité des armes non létales.Lors des opérations de l’ONU « Restore Hope » et UNSOM II en Somalie en1992-1993, les troupes coalisées faisaient face à des situations souvent par-ticulièrement difficiles. Le mandat de l’ONU leur donnait pour mission depermettre l’acheminement de l’aide humanitaire et de rétablir l’ordre dansce pays dévasté par les guerres claniques et le banditisme omniprésent.Etant donné que l’intervention avait un but essentiellement humanitaire,les règles d’engagement limitaient l’usage de la force létale aux situationsde légitime défense contre des individus portant une arme. Confronté à desfoules dans lesquelles se dissimulaient des miliciens armés, les soldats de lapaix se trouvaient dans la situation pénible de ne pouvoir engager leursarmes sans risquer de blesser ou tuer des civils qui, bien que prenant acti-vement part aux hostilités, ne constituaient pas des cibles « légales » selon lesrègles d’engagement. Les foules somaliennes l’avaient bien compris etjouaient en quelque sorte les «otages consentants» (9). Des moyens non létauxpour le contrôle de foule, des gaz lacrymogènes ou d’autres armes incapa-citantes telles que des canons à eau auraient probablement facilité l’accom-(9) Colonel John B. Alexander, Future War : Non-Lethal Weapons in Twenty-First-Century Warfare,Thomas Dunne Books, St. Martin’s Griffin, 1999, p. 22. les armes non létales735plissement de la mission sans imposer des risques disproportionnés à lasécurité des soldats ou à la vie des civils.Trois principes d’engagement peuvent être déduits de l’équation de basepar rapport à l’engagement des armes non létales. Premièrement, l’engage-ment des armes non létales doit s’inscrire dans le continuum de l’emploi dela force, soit être proportionnel à la menace. Ensuite, la possession d’armesnon létales ne doit pas limiter la liberté inhérente du commandant militaired’utiliser les moyens nécessaires pour accomplir sa mission : elles lui offrentun choix de moyens complémentaires. Finalement, l’engagement d’armesnon létales n’est pas limité aux missions de maintien de la paix : il couvrel’ensemble du spectre des opérations militaires.Le continuum de l’emploi de la forceL’emploi de la force doit être proportionné aux circonstances. Dans lecadre civil, cette règle s’illustre notamment par les notions juridique de légi-time défense et d’état de nécessité, les seuls cas où le particulier est autoriséà recourir à la force, y compris létale, pour préserver un bien juridiquesupérieur ou équivalent. Elle est encore plus évidente pour les forces depolice, qui ne peuvent faire usage de leur arme de service que commemoyen de légitime défense ou lorsque la vie de personnes est directementou indirectement mise en danger : ainsi, un policier ne pourra pas ouvrir lefeu sur le véhicule d’un malfrat qui vient de voler une voiture ; il faut vrai-ment que la vie de quelqu’un soit en danger et qu’aucun autre moyen rai-sonnable ne permette de protéger cette personne. C’est la raison pourlaquelle les policiers font si rarement usage de leur arme et, par conséquent,pour laquelle chaque incident dans lequel un policier a ouvert le feu faitl’objet d’une enquête judiciaire et attire toute l’attention des médias.Dans le cadre militaire, quand bien même la tendance à un plus grandrespect de la proportionnalité est manifeste et est la cause principale dudéveloppement de capacités non létales, les choses évoluent à un autrerythme. Les causes de cette différence ne sont pas l’objet de cet article,mais il peut être remarqué qu’en l’absence d’autorité supranationale com-pétente pour connaître des violations du droit international des conflitsarmés, le jus in bello, la sanction de l’usage disproportionné de la forceincombe aux parties en conflit, généralement peu enthousiastes à reconnaî-tre les abus. En outre, lorsqu’un Etat est engagé dans un conflit armé, lesenjeux sont généralement considérés comme largement supérieurs à la viehumaine et la mort de l’ennemi est une éventualité acceptable et parfoismême désirée.Le principe de proportionnalité et les règles du recours à l’arme sontcependant bien connus des militaires. A l’instruction, les soldats peuventapprendre à les mettre en pratique par des jeux de rôle dans lesquels ils doi-736david humair et christophe perronvent répondre proportionnellement à la menace perçue (10) ; on utilise éga-lement des codes de couleurs pour indiquer le niveau d’intensité de lamenace et la réaction que celle-ci autorise du militaire. La relation menace-réponse s’inscrit donc dans le continuum de l’emploi de la force, l’expressionmilitaire du principe de proportionnalité. Ainsi, pour interdire l’accès à uneinstallation militaire, une présence physique déterminée suffira dansl’immense majorité des cas : si un suspect s’approche trop près de cette ins-tallation, un avertissement verbal peut largement le convaincre de vaquerà d’autres occupations ; si ce même individu tente de passer outre la garde,il pourra être repoussé physiquement ; si le comportement de l’individu estmenaçant et que la sécurité de l’installation semble pouvoir être compro-mise, il pourra être fait usage d’une arme non létale, par exemple un ins-trument à décharge électrique, ou de l’arme principale mais sans ouverturedu feu ; finalement, si cet individu se mute en agresseur et menace directe-ment l’intégrité physique de la garde ou la sécurité de l’installation, ilpourra être fait usage de la force létale. Le graphique ci-dessous illustre lecontinuum de l’emploi de la force.Bien que le terme « continuum » suggère une succession d’étapes nécessai-res avant l’usage de la force létale, le passage d’une menace diffuse à unemenace très aiguë peut être instantané. Par exemple, dans la situationdécrite dans le paragraphe précédent, un simple observateur peut soudai-nement sortir une arme et s’avérer une menace mortelle pour la garde : laréaction de cette dernière devra donc immédiatement être proportionnelleà la menace, sans que soit tenté au préalable de maîtriser l’individu par desmoyens non létaux. Le principe du continuum de l’emploi de la force estégalement applicable aux états-majors aux niveaux opératif et tactique. Eneffet, la planification de l’action doit tenir compte du principe de propor-tionnalité. Le concept de frappe chirurgicale en est un exemple évident :dans ce contexte, la prise d’un terrain-clef pourra être assurée, voire facili-tée, par l’engagement de moyens non létaux sans que la destruction physi-que des infrastructures ne soit nécessaire. Les armes non létales permettentdonc de tenir compte du principe de proportionnalité dans la planification(10) Dans l’armée suisse, cette instruction est généralement donnée dans le cadre de la formation à la pro-tection d’ouvrages.Augmentation de la menace perçue par le militaire et réponse proportionnelle.Les couleurs indiquent le danger ressenti par le militaire. Croissance du danger et de la menace Présence physique Menac e orale Force physique Arme non létale Arm e létale les armes non létales737de l’action ou de répondre directement à des menaces sérieuses, mais déjàen deçà du seuil où l’usage de la force létale est autorisé.Dans le contexte d’un engagement militaire occidental, notamment celuid’une opération de soutien à la paix (PSO), le cadre juridique dans lequelles forces armées doivent remplir leur mission est précisé par les règlesd’engagement (ROE), qui déterminent en particulier les conditions durecours à la force létale. Le recours à la force non létale suit le mêmeprincipe : généralement, s’il s’agit d’une PSO, la force létale est réservée auxcas de légitime défense ou aux situations dans lesquelles l’accomplissementde la mission est impossible sans y recourir ; or, dans bien des situations, ilest manifeste que le recours à la force létale est disproportionné par rapportà la menace effective. Une foule de manifestants, même si elle tend àl’émeute, peut généralement être contenue sans appliquer la force létale.Dans le principe du continuum de l’emploi de la force, le seuil d’usage del’arme non létale doit donc être un cran plus bas que celui de l’arme létalepour que celle-là constitue une alternative valable. Si le seuil de recours àl’arme non létale est identique à celui de l’arme létale, en cas de doute,même minime, il sera fait usage de l’arme létale, car ses effets sont malgrétout plus connus, donc plus prévisibles. Toutefois, la différence de seuil doitrester mince, car un recours abusif à l’arme non létale est également uneviolation du principe de proportionnalité et constitue une infraction punis-sable. Ainsi, le recours à l’arme non létale doit aussi demeurer exceptionnelet juridiquement clairement déterminé. Pour éviter les abus, une attentionparticulière doit être mise sur la compréhension des ROE par les comman-dants et la troupe. Celles-ci doivent donc être simples, univoques et entraî-nées.La complémentaritéLes armes non létales ne vont pas remplacer les armes létales : la guerrepurement non létale n’est certainement pas prête de voir le jour. Commementionné au paragraphe précédent, les moyens non létaux offrent uneétape intermédiaire avant le recours à la force létale, mais cette étape inter-médiaire, bien que désirable, n’est pas obligatoire car elle réduirait la libertédu commandant d’utiliser tous les moyens nécessaires d’après son apprécia-tion pour accomplir la mission dans les limites des règles d’engagement etdu droit international.La doctrine des Etats-Unis et celle de l’OTAN sont claires sur ce point :«le fait de disposer d’armes non létales ne limite en aucune manière le droitet l’obligation intrinsèques d’un commandant ou d’une personne d’utiliser tousles moyens nécessaires qui sont disponibles et de prendre toutes les mesuresd’autodéfense appropriées.»; «l’existence, la présence ou l’effet potentiel desarmes non létales ne constitue pas une obligation d’emploi de ces armes nin’impose une norme supérieure ou des restrictions supplémentaires au recours738david humair et christophe perronà la force létale. Les forces de l’OTAN conservent dans tous les cas la possi-bilité d’un usage immédiat des armes létales conformément au droit nationalet international en vigueur et aux règles d’engagement agréées.»; «les armesnon létales peuvent être utilisées en même temps que des systèmes d’armeslétaux pour accroître l’efficacité de ces derniers dans toute la gamme des opé-rations militaires.» (11) Les moyens non létaux complètent donc l’arsenaldéjà existant des moyens létaux et permettent de combler une lacune dansle continuum de l’emploi de la force. Les principes d’emploi de la capaciténon létale à l’échelon tactique-technique doivent être traitées dans les règlesd’engagement applicables à la troupe concernée.Il convient de souligner que certaines armes non létales produisent desrésultats que les armes létales traditionnelles sont incapables d’engendrer.Par exemple, le système ADS (Active Denial System), capable de faire éva-cuer une infrastructure par l’émission d’un faisceau de radiations micro-ondes d’une longueur d’ondes de l’ordre du millimètre qui procure une sen-sation immédiate de brûlure intense mais passagère chez les êtres vivants.Dès lors, leur utilisation dans le cadre d’une opération, bien loin de servirà « humaniser » le conflit, permet de donner un avantage décisif à la troupequi les engage en parallèle à des moyens létaux.L’universalitéLe scénario le plus évident pour l’emploi de moyens non létaux est celuidu soutien à la paix, puisque la mission militaire se rapproche fortement destâches de police. S’il est manifeste que ce cadre assure le plus de possibilitésde publicité d’emploi et le plus grand éventail de missions dans lesquellesles armes non létales offrent un complément décisif aux armes létales, il esterroné de penser que l’engagement de moyens non létaux ne se conçoit quedans ces missions. Les fonctions-clefs des armes non létales décrites au cha-pitre trois sont des fonctions essentielles de tout effort militaire, peuimporte le degré d’intensité du conflit ou la qualification de l’interventionmilitaire. Les armes non létales peuvent également être utilisées pouratteindre des effets au niveau stratégique, notamment pour paralyser leréseau électrique ou de conduite de l’Etat contre lequel les opérations sontconduites (12).Les armes non létales peuvent donc être utilisées dans tout le spectre desmissions qui peuvent être confiées à une formation militaire. Ainsi, des for-mations de forces spéciales peuvent être amenées à préférer une arme nonlétale, notamment lorsqu’il s’agit de collection de renseignement. On préfé-rera sans doute mettre un ennemi hors d’état de nuire sans le tuer afin de(11) Politique de l’OTAN sur les armes non létales du 13 octobre 1999, chiffre III, disponible sur le siteInternet www.nato.int/docu/pr/1999/p991013f.htm.(12) C’est le concept de « paralysie stratégique », développé par le colonel John B. Alexander, op. cit.les armes non létales739pouvoir l’interroger plus tard. De même, dans un conflit majeur, il peut êtrepréférable de mettre une infrastructure temporairement hors d’état pourpouvoir la réutiliser plus tard afin d’éviter les coûts de reconstruction : parexemple, un aéroport, cible militaire par excellence, peut être occupé par lespropres troupes afin de permettre l’établissement d’une base logistiqueavancée. La guerre maritime n’échappe évidemment pas à la règle : il peutêtre possible d’arraisonner un bâtiment sans devoir faire appel à des muni-tions explosives traditionnelles, notamment par l’emploi de micro-ondes àhaute puissance, capables de « griller » les circuits électroniques indispensa-bles à la conduite du vaisseau (13). S’il est en revanche plus difficile d’envi-sager des moyens non létaux contre des aéronefs – leur mise hors d’étatimpliquant probablement leur chute –, ces derniers sont l’un des vecteursprincipaux des armes non létales en développement.Considérations juridiquessur les armes non létalesPlusieurs instruments de droit international ont été établis pour limiterles moyens de faire la guerre et de conduire les hostilités. Tous ces instru-ments ont un objectif commun : interdire les armes frappant de manièreindiscriminée ou provoquant des souffrances inutiles. A priori, comme lesarmes non létales sont développées dans un but connexe, leur compatibilitéavec les conventions internationales ne devrait pas poser de problèmemajeur. Or, en analysant les principaux traités relatifs au droit des conflitsarmés ou relatifs aux armes, on constate que de nombreuses questionsdemeurent irrésolues. Il ne s’agit point ici de proposer une analyse détailléede la légalité de chaque système d’armes non létales, mais, en analysantdeux exemples de conventions internationales concernées, d’exposer la com-plexité du problème.Selon le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux(Protocole I) du 8 juin 1977, les armes nouvelles doivent subir un test delégalité avec le droit international (14). Les dispositions pertinentes du Pro-tocole I sont données par l’article 35 et 51 : l’article 35 PA I interdit expres-sément les armes de nature à causer des maux superflus ; l’article 51 inter-dit, quant à lui, les armes qui frappent sans discrimination. Même si tous(13) Hilvert J. Fitski/Judith J.M. Dekker/Edwin R. Van Veldhoven, NLW Deployment in a MaritimeScenario, in Non-Lethal Weapons : New Options Facing the Future, Frauenhofer Institut Chemische Tech-nologie, Ettlingen, 2001.(14) Article 36, Armes nouvelles : «dans l’étude, la mise au point, l’acquisition ou l’adoption d’une nouvellearme, de nouveaux moyens ou d’une nouvelle méthode de guerre, une Haute Partie contractante a l’obligationde déterminer si l’emploi en serait interdit, dans certaines circonstances ou en toutes circonstances, par les dis-positions du présent Protocole ou par toute autre règle du droit international applicable à cette Haute Partiecontractante».740david humair et christophe perronles Etats du monde n’ont pas encore ratifié le Protocole I, la pratique cons-tante fait que ces normes ont rang de droit international coutumier etmême de jus cogens, un droit tellement fondamental qu’il est absolumentinterdit d’y déroger. La Cour internationale de justice a confirmé le sens deces règles : certaines armes peuvent être illégales, qu’un traité particulier lesinterdisent ou non (15) ; en tant que les armes non létales visent un butsimilaire, il semble que les deux règles pertinentes au sein même du Proto-cole I ne s’opposent guère, in abstracto, à leur développement.Cependant, le test de légalité ne se limite pas aux normes du Protocole,il s’étend à tous les instruments internationaux auxquels la Haute Partiecontractante est partie. Parmi ces instruments, deux conventions sont par-ticulièrement illustratives de la problématique : la Convention du 10 avril1972 sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockagedes armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction(CIAB) et la Convention du 13 janvier 1993 sur l’interdiction de la mise aupoint, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques etsur leur destruction (CWC).Selon l’article premier de la CIAB, les Etats parties à la Conventions’engagent à ne jamais et en aucune circonstance mettre au point, fabri-quer, stocker, ni acquérir d’une manière ou d’une autre ni conserver : desagents microbiologiques ou autres agents biologiques, ainsi que des toxinesquels qu’en soient l’origine ou le mode de production, de types et en quan-tités qui ne sont pas destinés à des fins prophylactiques, de protection ouà d’autres fins pacifiques ; des armes, de l’équipement ou des vecteurs des-tinés à l’emploi de tels agents ou toxines à des fins hostiles ou dans des con-flits armés. Cette interdiction est absolue et, bien que la Convention ait étérédigée alors que l’armement non létal n’était guère envisageable, elle nelaisse aucune place au développement d’un armement non létal biologique.En vertu de l’article premier chiffre 1 de la CWC, chaque Etat partie àla Convention s’engage, entre autres, à ne jamais, en aucune circonstance,mettre au point, fabriquer, acquérir d’une autre manière, stocker, conserverou employer d’armes chimiques. Le chiffre 5 du même article est directe-ment topique en ce sens qu’il interdit l’utilisation d’«agents de lutte anti-émeute en tant que moyens de guerre». L’article second définit l’«agent de lutteantiémeute» comme «tout produit chimique qui n’est pas inscrit à un tableauet qui peut provoquer rapidement chez les êtres humains une irritation senso-rielle ou une incapacité physique disparaissant à bref délai après qu’a cessél’exposition». La CWC interdit donc l’emploi, en tant que moyen de guerre,d’armes non létales dont l’agent incapacitant est un produit chimique. PourMalcolm Dando, «il demeure ainsi une zone grise avec différentes interpréta-(15) Advisory Opinion of the International Court of Justice, Legality of the Threat or Use of NuclearWeapons, General List n° 95 (35 I.L.M. 809 [1996]), 8 juillet 1996, par. 78-79. les armes non létales741tions de ce qui est permis. En somme, la question est de savoir où s’arrête lanotion de maintien de l’ordre et où débute celle de la guerre»(16). Selonl’interprétation extensive de l’Administration Clinton, l’utilisation d’agentsantiémeute était donc interdite dans les cas où des combattants étaient pré-sents, rendant cependant leur utilisation admissible lorsqu’une foule devientémeutière en l’absence de combattants ennemis (17). L’engagement demoyens anti-émeute chimiques avait en conséquence été autorisé pour laSomalie et Haïti (18).Il faut reconnaître cependant que, selon le droit international positif, lesarmes non létales chimiques ou biologiques sont interdites dans le cadre duconflit armé. Dès lors, deux cas de figure se proposent en relation avec lesarmes non létales relevant de ces deux catégories technologiques : dévelop-pement et engagement d’armes non létales dans le cadre légal actuel oumodification des instruments internationaux dans le but d’autoriser ledéveloppement et l’engagement d’armes non létales. Dans le premier cas, lesouci est de préserver l’intégrité et la portée normative de l’interdictiongénérale des armes biologiques et chimiques ; le risque est en effet réel quecertains Etats profitent de lancer des programmes d’armes létales prohibéessous le couvert de programmes d’armes non létales et la classification desprogrammes de recherche par les principaux Etats développant des armesnon létales n’est pas le meilleur moyen pour atténuer la perception de cerisque : la conséquence de cette possibilité semble être que les armes nonlétales ne doivent pas faire exception à la prohibition générale. Le secondcas, la modification des instruments internationaux pour exclure les armesnon létales, présuppose une double affirmation : les moyens de combat évo-luent et vont continuer d’évoluer et les armes non létales ne doivent pastomber sous le champ d’application matériel des conventions topiques carle but même de ces armes s’inscrit dans celui des conventions susmention-nées. Dans ce cas-là, les conventions ne doivent pas faire obstacle au déve-loppement des technologies biologiques et chimiques non létales et les ins-truments internationaux doivent être révisés pour tenir compte de cesprogrès technologiques.Nous ne prenons pas position ici quant à la meilleure solution, mais ilfaut en tous les cas éviter un cas de figure supplémentaire dans lequel des(16) Malcolm Dando, « Les réalisations scientifiques et techniques et l’avenir de la Convention sur lesarmes chimiques : le problème des armes non létales », in Forum du désarmement, La Conférence d’examende la Convention sur les armes chimiques, United Nations, 2002.(17) Department of the Army, Concept for Non-Lethal Capabilities in Army Operations, Appendix C, C1,TRADOC Pamphlet 525-73, 1er déc. 1996, disponible sur le site Internet www.fas.org/man/dod-101/sys/land/docs/p525-73.htm.(18) Il faut noter également que l’Executive Order américain 11 850 décrété par le Président Ford en1975 permet, après autorisation présidentielle, l’emploi de moyens anti-émeute en cas de conflit dans lessituations suivantes : soulèvement de prisonniers de guerre ; si des civils sont utilisés pour masquer des com-battants et que des pertes civiles peuvent être évitées par l’engagement de ces moyens ; opérations de sau-vetage en zone isolée ; protection de convois de l’échelon arrière contre des troubles civils, des terroristes oudes groupes paramilitaires.742david humair et christophe perronarmes non létales biologiques ou chimiques seraient développées sans con-sidération du cadre juridique international relatif au contrôle desarmements : ce serait probablement porter un coup fatal à la crédibilité dusystème légal international de lutte contre la prolifération des armes biolo-giques et chimiques.***Durant les dix dernières années, les armes non létales ont connu un essorphénoménal. Grâce à l’initiative américaine, de nombreux pays et l’OTANont entamé leurs propres programmes de recherche et l’industrie privée del’armement y a reconnu un nouveau marché très intéressant. Cet intérêt vacertainement continuer à croître, notamment grâce à la publicité créée parla mise en service dans un proche avenir de plusieurs systèmes nouveauxd’armes non létales. Si le besoin d’armes non létales est le produit del’omniprésence des médias sur le champ des opérations et du contexte danslequel les forces armées occidentales interviennent le plus souvent, à savoirdes situations où elles doivent en particulier renforcer l’ordre civil ou réta-blir celui-ci et dans un environnement généralement urbanisé, c’est dès lorsprincipalement par rapport aux résultats qu’elles produiront en relationavec ces deux critères que leur efficacité réelle doit être jugée. Quelquesexpériences concrètes au niveau tactique ont déjà été faites, notamment parl’armée américaine dans les Balkans (19), mais leur volume n’est pas encoresuffisant pour tirer des leçons générales et l’introduction des nouveaux sys-tèmes d’armes nécessitera des études supplémentaires quant aux résultatsde leur engagement.Au niveau stratégique, le développement d’armes non létales fonde aussides opportunités et des craintes parallèles importantes. Ainsi, on peut envi-sager des armes non létales permettant de neutraliser des segments entiersde réseaux électriques ou de communication, entraînant la paralysie par-tielle ou complète de l’organisation d’un Etat, le fameux concept de para-lysie stratégique (20). C’est là évidemment un formidable moyen de pressionpolitique que de posséder la capacité de contraindre un ennemi potentiel àadopter un certain comportement déterminé avec un risque très faible devictimes. La crainte parallèle est évidemment que ces moyens ne soient uti-lisés qu’en dernier recours, comme ultima ratio.De nombreuses questions essentielles en relation avec les armes non léta-les restent ouvertes. Par exemple, la compatibilité de certains types de cesarmes avec le droit international, en particulier la Convention sur la prohi-bition des armes biologiques et la Convention sur la prohibition des armes(19) John Alexander, « Non-Lethal Weapons to Gain Relevancy in Future Conflicts », National Defense,mars 2002, disponible sur le site Internet www.nationaldefensemagazine.org/article.cfm?Id=747.(20) Colonel John B. Alexander, ibid.les armes non létales743chimiques, est un problème qui doit impérativement être résolu dans leslimites du droit international, non par sa négation. Les effets sur l’hommeet l’environnement des armes non létales, un domaine encore relativementpauvre en données, doivent continuer de faire l’objet d’études approfondies,tout comme les effets psychologiques et culturels des armes non létales surles personnes cibles mais également sur les utilisateurs d’armes. Seules cesétudes pourront à l’avenir permettre d’assurer la prévisibilité des effets desarmes non létales, une carence actuelle par rapport aux armes létales.Si le développement des armes non létales est, au sens des auteurs de cetarticle, généralement positif, il ne doit pas faire oublier que les armes nonlétales demeurent des armes et que celles-ci sont des instruments de guerre.Et même si la guerre peut éventuellement être rendue plus « humaine », ellereste la guerre

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog