Les métamorphoses animales dans l’Islam populaire médiéval et moderne djinns dieux le monde visible invisible
p. 297-311
Texte intégral
- 2 Voir, sur ce point, N. Élisséeff, Thèmes et motifs des Mille et Une Nuits. Essai de classification(...)
1Je vais parler
de « vraies » métamorphoses, c’est-à-dire de sauts intergénériques ayant
permis la transformation d’individus réels et attestés appartenant au
genre Homo en individus tout aussi réels et attestés appartenant aux genres Felis, Canis, Aquila, Natrix,
etc. Je laisserai donc de côté les métamorphoses légendaires, celles
que l’on trouve dans la littérature de fiction et les contes (comme les Mille et Une Nuits)2, ainsi que celles affectant des individus appartenant aux genres Aggelos et Genius qui, n’ayant pas d’habitus spécifique, peuvent revêtir toute forme.
2J’avoue que je
suis un peu gêné d’exclure ainsi les anges et les djinns car, pour
l’islam, il s’agit d’êtres tout à fait réels : cela fait partie du
credo. Disons qu’ils appartiennent à un monde qui n’est pas exactement
celui de la matière sublunaire, leur essence subtile, presque
immatérielle, les éloignant du règne animal pour les rapprocher des
phénomènes physiques (en l’occurrence, la transformation de l’énergie) :
ils sont en effet décrits, les premiers comme étant des êtres de
lumière, les seconds des êtres de feu clair sans fumée.
3En revanche, ils
sont dotés de la capacité d’apparaître aux humains sous la forme d’êtres
que ces derniers sont en mesure de percevoir visuellement, mais aussi
de concevoir :
- personnages anthropomorphes comme Gabriel, l’ange de la Révélation ;
- animaux, comme les anges des quatre premiers Cieux, cheval, vache, vautour, aigle, coq (illustration 1) ;
- êtres hybrides comme cet ange à 70 têtes qui apparaît au troisième ciel, ou encore les quatre anges supportant le Trône de Dieu (le premier a le visage d’un homme, le deuxième la tête d’un lion, le troisième d’un aigle et le quatrième d’un taureau)3. On les représente parfois sous la figure d’un personnage tétracéphale (illustration 2).
- 4 Cela inclut le rat, le putois ou le hérisson. Voir F. Clément, « Insectes et autres arthropodes se (...)
4Les djinns,
pareillement, peuvent revêtir forme animale : chameau, cheval, mulet,
singe, serpent, scorpion, paon, pigeon… Toutes les combinaisons sont
possibles : mi-chat mi-chien, éléphant à tête de lion, etc. Une
tradition prophétique classe les djinns en trois catégories dont la
première, justement, est composée de serpents, scorpions et reptiles
(c’est-à-dire de tout ce qui vit au ras du sol)4.
- 5 Sur les principaux thèmes du merveilleux dans la faune, voir T. Fahd, « Le merveilleux dans la fau (...)
- 6 al-Idrīsī, Kitāb nuzhat al-muštāq, éd. et trad. partielles par M. Hadj-Sadok, al-Maġrib al-carabī (...)
- 7 al-Zuhri, Kitāb al-ğacrāfiyya, M. Hadj-Sadok (éd.), Bulletin d’Études Orientales, XXI, Damas, 1968 (...)
5Je laisserai de côté, pour les mêmes raisons, les êtres merveilleux5
et les monstres, qu’ils soient réels, comme l’animal Burāq, jument
ailée à tête de femme (illustrations 1 et 2) qui transporte le Prophète
lors du Voyage Nocturne et de l’Ascension à travers les sept Cieux ; ou
plus problématiques, comme les habitants des îles lointaines, aux
limites du monde, à propos desquels les auteurs arabes médiévaux
rapportent le témoignage de marins sans, toutefois, en garantir
l’authenticité. Ainsi, par exemple, de ces êtres « qui ressemblent à des
femmes, ayant des crocs qui ressortent de leur bouche, des regards
foudroyants, des jambes comme en bois brûlé, parlant une langue
inintelligible6 » et qui habitent l’île des Ogresses (ğazīrat al-Sacālī),
quelque part dans l’océan Atlantique. Ou des femmes du Wāq Wāq, à
l’autre bord du monde, vers l’est, dans la mer de Chine, qui sont en
réalité les fruits d’un arbre et qui donc, malgré leur incomparable
beauté, se révèlent n’être qu’une masse de chair qu’on s’empresse
d’enterrer lorsque, parvenues à maturité, elles tombent au sol et se
corrompent en empuantissant l’atmosphère7.
- 8 D. G. Shepherd, « A Dated Hispano-Islamic Silk », Ars Orientalis, II, 1957, p. 373-382.
6On pourrait
avancer l’idée que les êtres merveilleux et les monstres sont des êtres
en métamorphose saisis au moment de leur passage d’une forme à l’autre.
J’en veux pour indice la soierie de Vic (Catalogne) conservée au Museum
of Art de Cleveland, pièce sans doute almériane de la première moitié du
xiie siècle (illustration 3). On y voit deux êtres affrontés qu’on a interprétés comme étant des sphinges8.
Toutefois, un examen attentif permet de constater qu’il s’agit de deux
harpies juchées à contresens sur la croupe de deux lions dont elles
masquent la tête. Pourquoi ne pas y voir, alors, des harpies en train de
se transformer en sphinges (ce qui laisserait deviner les étapes – les
stades, dirait le naturaliste – qui mènent à l’imago) ?
- 9 Voir l’article « Micradj » (B. Schreike, J. Horovitz et al.) Encyclopédie de l’Islam, 2e éd., Leyd (...)
- 10 Yāqūt al-Rūmī, Mucğam al-buldān, Beyrouth, Dār Ṣādir, 1986, V, p. 381, col. g.
7La place de ces
êtres n’est pourtant pas dans mon corpus car leur réalité physique ne
fait pas l’unanimité. L’épisode du Voyage Nocturne et de l’Ascension du
Prophète divise les théologiens. Si l’opinion majoritaire qui fonde
l’orthodoxie argumente que le Prophète a chevauché pour de bon Burāq,
c’est-à-dire pleinement éveillé, avec son corps et son esprit, d’autres
considèrent qu’il a voyagé par l’esprit, en songe, et qu’il faut donc
parler d’une vision9. Quant au Wāq Wāq, il s’agirait selon le géographe Yāqūt (mort en 1228), à qui on ne la fait pas, d’un pays de légende10.
- 11 al-Idrīsī, op. cit., § 8, p. 70 (texte) et p. 60 (trad.).
8Tout ceci est un
peu décevant car l’être mystérieux, en tout cas dans le monde
sublunaire, nous laisse parfois entrevoir, derrière l’image qu’on en
dessine, un fruit ou un animal exotique. Essayez, par exemple, de vous
figurer cette nation peuplant l’île de Qalhān, dans l’océan Atlantique :
ses membres ont forme humaine et tête animale, ils « plongent dans la
mer, en retirent les bêtes dont ils peuvent se saisir et les mangent11 ». Ne correspond-elle pas, en termes de taxonomie, à l’honorable famille des Phocidés ?
- 12 Voir E. Baer, Sphinxes and Harpies in Medieval Islamic Art, Jérusalem, Israel Oriental Society, 19 (...)
9Il faut pourtant
l’exclure du corpus, à cause de son statut incertain ou trop
exclusivement animal. Rejetons, également, les êtres de pure fantaisie,
les chimères, c’est-à-dire ces sphinges et harpies précédemment
évoquées, sans parler des sirènes des mers orientales. Dommage, car les
artistes musulmans les ont volontiers figurées (illustrations 4 à 6)12.
- 13 Ibn Manẓūr, Lisān al-cArab, s. v.
10Je ne
retiendrai pas, non plus, les métamorphoses subies, qui ne sont pas de
véritables métamorphoses au sens biologique, puisque le changement de
forme est le résultat d’un processus ayant son origine ou sa volonté à
l’extérieur de l’individu, souvent contre son gré. C’est ce que
sous-entend le terme masḫ, lequel désigne certes la
« métamorphose » en arabe (du moins, c’est l’équivalent proposé dans les
langues européennes), mais que le lexicographe glose par
« transformation d’une forme en une autre plus laide13 ». Il utilise à cet effet le terme transitif taḥwll (« transformer ») plutôt que le réfléchi taḥawwul
(« se transformer »). On comprend vite, par l’exemple donné (« Que Dieu
le métamorphose en singe ! »), qu’il s’agit d’une punition infligée à
ceux qui ont mérité le courroux divin (la tradition cite des
polythéistes et des juifs, des mécréants et des rebelles, mais aussi
toutes sortes de personnages ayant enfreint l’ordre social, notamment
les agents du fisc malhonnêtes).
- 14 Je remercie Yves Hersant d’avoir attiré mon attention sur ce point.
11La métamorphose du type masḫ
comporte des degrés, comme toute peine. La plus sévère est la
transformation en singe ou en porc : ces deux espèces passent, en effet,
pour particulièrement antipathiques et hideuses. Mais il y a aussi le
chien (pas terrible non plus, surtout quand il est affublé de quatre
yeux et court en permanence sans parvenir à étancher sa soif). On trouve
également le lézard, la tortue, l’anguille, l’ours, l’éléphant, le
lièvre, le vautour, le corbeau, la chouette, la huppe, le frelon,
l’araignée, la crevette, la souris… On a d’ailleurs beaucoup discuté
pour savoir si de tels animaux sont les descendants d’humains
métamorphosés (le lézard et la souris ont particulièrement retenu
l’attention), ou bien s’ils existaient avant la sanction ; s’ils sont,
par conséquent, des sortes d’humains déclassés (argument avancé : la
« main » du lézard, vestige de la forme antérieure), ou s’ils n’ont fait
qu’accueillir dans leurs rangs des êtres remodelés à leur image et
dépourvus de descendance. Nous sommes là en présence du dilemme bien
connu entre la forme/image et la matière/nature, la question étant de
savoir si la transformation de la première implique ou pas celle de la
seconde14.
- 15 R. Basset, Mille et un contes, récits et légendes arabes, III, Légendes religieuses, Paris, Librai (...)
12La
transformation d’un humain en animal peut, aussi, résulter d’une sorte
de vœu inconscient. Le fils irrespectueux qui traite à tout propos sa
mère d’ânesse perd l’usage de la parole et se met à braire. Mieux : les
témoins alertés constatent que son cou est devenu pareil à l’encolure
d’un baudet. L’anomalie de cette transformation inaboutie est soulignée
par le rapide trépas du puni (sans doute, ne méritait-il guère mieux)15.
- 16 Sur tout ceci, voir l’article « Masḵẖ », (C. Pellat) Encyclopédie de l’Islam, op. cit., s. v.
13Ajoutons que la
peine de métamorphose frappe également les anges et les djinns et même
certains animaux, comme le serpent, ci-devant dromadaire que Dieu a
condamné à ramper sur le sol16.
- 17 Voir T. Fahd, « La naissance du monde selon l’islam », Sources Orientales, I (La naissance du mond (...)
- 18 Voir Basset, op. cit., p. 619.
14De fait, les
créatures vivantes, qu’elles soient humaines ou animales, vivent dans
une proximité qui facilite, sans doute, le passage d’une forme à une
autre. L’ordre du monde est d’ailleurs garanti par les bêtes. Ce sont
des anges à figure animale, nous l’avons vu, qui supportent le trône de
Dieu. C’est un serpent qui, tout autour, figure le cosmos. C’est un
taureau, certes unique en son genre (il possède 40 000 têtes, autant
d’yeux, de naseaux, de bouches, de langues et de pattes), qui porte la
Terre sur son dos et ses cornes. C’est une baleine qui porte ce taureau.
C’est une petite bête (non identifiée) qui rappelle la baleine à
l’ordre lorsque celle-ci est tentée de secouer sa charge. Ce sont des
scorpions, des vautours, des tortues et des serpents qui peuplent les
sept marches de l’enfer en compagnie de monstres de toutes sortes17.
Et lorsque les deux derniers hommes descendront à Médine à la recherche
de leurs semblables, ils ne trouveront que des renards et des chats,
lesquels survivront donc à l’espèce humaine (ne serait-ce que
provisoirement)18.
- 19 Le lecteur francophone en trouvera la liste dans F. Gabrieli, Mahomet, coll. Le Mémorial des Siècl (...)
- 20 Voir É. Dermenghem, Le culte des saints dans l’islam maghrébin, Paris, Gallimard, 1982 (1re éd. 19 (...)
15Le prophète de
l’islam n’échappe pas à cette proximité avec le monde animal. Je ne
reviendrai pas sur la jument Burāq et je me contenterai d’indiquer que
ses sept chevaux, ses trois mules de selle, ses deux ânes, ses trois
chamelles de course, ses dix chamelles de lait et ses sept chèvres ont
toutes et tous reçu un nom personnel que la tradition a pieusement
enregistré19.
On sait aussi que Mahomet défendait de maltraiter les bêtes, de les
mutiler ou de les tuer sans nécessité. Le jour du Jugement,
enseigne-t-il, les animaux domestiques porteront témoignage contre leurs
maîtres cruels : n’a-t-il pas vu, en enfer, une femme condamnée à être
griffée sans répit par le chat qu’elle avait laissé mourir de faim ? À
l’inverse, il y aura récompense pour le bien fait aux animaux. C’est
ainsi qu’une prostituée gagne le paradis pour avoir donné à boire à un
chien assoiffé20.
- 21 Basset, op. cit., p. 238.
- 22 Ibid., p. 271.
- 23 Ibid., p. 321.
- 24 Ibid., p. 388.
- 25 Ibid., p. 368.
16Le Prophète prêche l’exemple quand il ordonne de rendre à leur mère les oisillons capturés21. À son imitation, le calife omeyyade cUmar II b. cAbd al-cAzīz
(717-720) enterre un serpent mort trouvé sur le bord du chemin (il est
vrai qu’il le soupçonne d’être un djinn fidèle, c’est-à-dire un bon
musulman)22. S’il le faut, la Providence intervient. L’alouette aveugle tombée du nid reçoit nourriture et boisson surgies de nulle part23, tandis que le bédouin qui a brisé intentionnellement la patte d’une gerboise se casse aussitôt la jambe24.
Citons encore le cas du calife abbasside al-Mustanṣir (1226-1242) : la
maladie qui devait l’emporter est contractée à l’occasion d’une chasse
au cours de laquelle ses hommes ont forcé, sur son ordre, le gibier
réfugié sous la protection d’un saint homme25.
- 26 Ibid., p. 300 ; voir également É. Dermenghem, Vie des saints musulmans, éd. définitive, Paris, Sind (...)
- 27 Basset, op. cit., p. 321 ; voir également É. Dermenghem, Vie des saints, op. cit., p. 90-81.
- 28 Voir Basset, op. cit., p. 235-237, 254, 327, 460.
17C’est également au cours d’une partie de chasse qu’Ibrāhīm b. Adham, le premier maître soufi du Khorassan, au viiie
siècle, renonce au monde après qu’une voix puis l’animal qu’il
poursuivait l’eurent admonesté (on parle d’un lièvre, d’un renard ou
d’une gazelle)26. L’alouette aveugle évoquée plus haut est à l’origine de la conversion à la vie mystique du célèbre soufi égyptien Ḏū l-Nūn (ixe siècle)27.
On pourrait citer d’autres cas de conversion provoquée par un animal,
ici un lézard, là un loup (diverses mentions), ailleurs un scorpion28.
- 29 Ibid., p. 254, 468, 523.
- 30 Ibid., p. 303.
18Car les animaux
semblent bien plus que les hommes respectueux de la loi divine. Ceci
autorise le loup à reprocher au chef mekkois Abū Sufyān son
incrédulité ; le chacal à un šayḫ du djebel Néfousa, dans l’actuelle Libye, son manque de charité ; et le chien à l’ascète ses entorses à la règle29. Ibn Adham prend d’ailleurs pour modèle la résignation des chiens de la ville de Balḫ30.
- 31 Ibid., p. 264-65 (pour punir l’assassin de cAlī), 444 (pour punir le méchant beau-père), 527 (pour (...)
- 32 Ibid., p. 295, 327, 370, 373.
19Rien de
surprenant, donc, à ce que les animaux soient l’instrument du destin,
tantôt pour exécuter la sentence de mort (citons l’aigle, le serpent, le
scorpion)31,
tantôt pour accorder miséricorde : le corbeau nourrit l’homme
prisonnier des brigands ; le scorpion, décidément ambivalent, protège du
serpent un jeune homme (pourtant ivre mort) avec la complicité de la
tortue ; le milan laisse tomber une bourse aux pieds du miséreux ; le
lion délivre Abū Ḥamza al-Ḫurasānī de la fosse où il est tombé32.
20Les saints hommes
(et les saintes femmes), plus que d’autres, bénéficient de cette
familiarité avec les animaux au point que la frontière entre espèces
semble bien mince. De là à faire le saut, la chose est facile. Il y a
véritablement, plus qu’une complicité, une quasi fraternité dans la
soumission au Créateur. Je laisse cet aspect, pour l’instant, en
attente.
- 33 C’est la seule compétence originale, avec la lexicologie et la poésie, que Ṣācid l’Andalou reconna (...)
21Je voudrais, en
effet, terminer ce tour d’horizon, en rappelant deux choses. D’abord,
l’abondance de la nomenclature animale dans le lexique de l’astronomie
et de l’astrologie, deux domaines de prédilection des Arabes et donc des
musulmans à l’époque classique33.
Que ce soit les noms des constellations des deux hémisphères ou ceux
des signes du zodiaque, l’animal est omniprésent. Cette abondance des
figures animales dans le ciel physique (et dans les arrêts du destin)
doit être rapprochée, il me semble, de celle des figures animales qui
peuplent le ciel eschatologique : je n’insiste pas.
- 34 Voir Clément, « Insectes. », op. cit., p. 177-182.
22Deuxièmement,
on note une réelle fascination pour les insectes sociaux, abeilles et
fourmis. Il n’est pas indifférent que chaque espèce ait sa sourate en
bonne et due forme (Coran XVI et XXVII) et non de façon anecdotique (comme l’araignée, Coran
XXIX). Depuis Aristote et Pline, on s’extasie sur le génie géométrique
des premières, qui défie le savant, et sur le génie politique des
deuxièmes, qui défie le prince. On sent bien que les unes comme les
autres sont un modèle indépassable, un signe donné par Dieu. Les fourmis
forment, assurément, le peuple « muslim » (« soumis » à Dieu, « musulman ») le plus irréprochable34.
- 35 Voir ibid., p. 168.
- 36 Basset, op. cit., p. 239.
- 37 Ibid. ; É. Dermenghem, Culte des saints, op. cit., p. 100.
- 38 Voir Clément, « Insectes… », op. cit., p. 166-167.
23En fin de compte, peu d’animaux suscitent la malédiction. Il y a le termite, accusé d’avoir révélé aux djinns la mort de Salomon35, et la sauterelle, bien sûr – entendons le criquet pèlerin36. Encore que Dieu n’accède pas à la prière de Mahomet qui souhaite les exterminer et qu’une anecdote montre Rifācī, le fondateur des derviches hurleurs, s’abstenir de bouger pour ne pas priver d’ombre une sauterelle installée près de lui37. Même le scarabée n’est pas un être méprisable, malgré sa répugnante coprophilie38. Car ce qui domine chez l’homme pieux et a fortiori chez le sage ou le soufi, c’est un profond respect pour la vie. Dieu n’est-il pas al-Ḥayy, le Vivant, et l’animal al-ḥayawān, « ce qui est en vie » ?
- 39 Ibid., p. 163-164, 167-168.
- 40 Ibid., p. 163. Il est vrai que, pour les insectes hémimétaboles (comme la punaise), les stades larv (...)
24On comprend
alors, et ces détours n’auront pas été inutiles, que la métamorphose
appartient à l’ordre naturel des choses. La lecture des Anciens
(Aristote, Pline) jointe à l’observation des insectes holométaboles,
comme le papillon (notamment le bombyx)39,
n’a pu que conforter l’idée qu’il s’agissait d’un phénomène somme tout
banal – quitte à émettre des hypothèses que la biologie moderne n’a pas
validées, la transformation de la puce en punaise, par exemple40.
25Dans cette
proximité avec le monde animal, les marginaux de la foi (ascètes,
mystiques et illuminés) occupent une place singulière. Renversons la
proposition : la reconnaissance par les animaux est un des signes les
plus certains de leur élection. Cela fait partie des charismes (karamāt) nécessaires. En voici quelques exemples.
- 41 Basset, op. cit., p. 470.
- 42 Ibid., p. 446.
26À l’instar de
Moïse confiant la garde de son troupeau à un loup quand il dort, le
saint marocain Abū Bakr confie ses ouailles au chacal lorsqu’il se rend
en ville pour la prière41.
Dans l’aura du saint homme retiré au désert (étape indispensable), la
réconciliation des espèces s’avère comme une évidence ou, plutôt, l’être
humain découvre au désert, en même temps que la paix de l’âme, la
grande paix de Dieu entre les créatures. L’ours qui apporte à Sahl b. cAbd
Allāh l’eau nécessaire à ses ablutions fait partie « d’une troupe
d’animaux sauvages entièrement livrés à Dieu par amour et par confiance42 ».
On pourrait dire que les bêtes sont non seulement les compagnons des
saints (illustration 7), mais aussi leurs véritables maîtres.
- 43 Ibid., p. 383-384 ; É. Dermenghem, Vie des saints, op. cit., p. 250-251 ; id., Culte des saints, op (...)
- 44 Il n’avait pas fait maigre ce jour-là. Voir É. Dermenghem, Culte des saints, op. cit., p. 100 ; au (...)
27J’en veux pour preuve un épisode bien connu de la vie du grand mystique andalou et futur patron de Tlemcen, Šucayb
b. Ḥusayn, dit Abū Madyan (Boumédienne), né vers 1126, mort en 1198. Un
jour, les chiens affectueux sur son passage et la gazelle qui partage
sa retraite se détournent de lui. Il en cherche la raison et finit par
découvrir qu’on a glissé, par charité, quelques pièces de monnaie dans
la loque qui lui sert de manteau. Quelle souillure ! Il s’en
débarrasse : aussitôt, la gazelle revient et les chiens lui font fête43.
Une mésaventure comparable était arrivée à al-Ḥasan al-Baṣrī, l’un des
premiers soufis (il est mort en 728), alors qu’il rejoignait sur la
montagne la dévote du Pur Amour, Rābica al-c Adawiyya (m. 752)44.
- 45 Voir Basset, op. cit., p. 462, à propos de Ḫayr le Tisserand (mort en 933), un des maîtres de Šībl (...)
28Outre les animaux cités, auxquels j’ajouterai, pour mémoire, l’écrevisse45,
trois catégories d’animaux entretiennent avec ces pieux personnages un
rapport privilégié : les reptiles, les oiseaux et les fauves. Dans le
grand nombre d’anecdotes qui l’illustrent (de manière assez répétitive,
il faut le reconnaître), j’en ai retenu trois.
- 46 Ibid., p. 451.
29Abū Isḥaq al-Ṣuclūkī
trouve sur son chemin un jeune homme mourant allongé sur un lit de
fleurs odorantes. L’anachorète s’en étonne et apprend que ce sont les
bêtes féroces et les reptiles du désert qui les ont apportées46.
- 47 Ibid., p. 347.
30L’un des fils
du calife Hārūn al-Rašīd (786-809) a renoncé au monde, au grand dam de
son père. Pour essayer de le fléchir, il appelle un oiseau qui vient se
poser sur sa main puis sur celle du souverain47.
- 48 Ibid., p. 315, n. 1. Autres exemples concernant les lions, ibid., p. 274 sq., 361, 380, 431, 454.
31Ibn Adham est
en route pour la Mekke à l’occasion du pèlerinage. Il fait halte dans
une caverne où vit un lion. Celui-ci, bien qu’affamé, lui offre
l’hospitalité48.
32Bref, entendre le
langage des animaux, converser avec les oiseaux et vivre en paix avec
les fauves, c’est un peu la moindre des choses pour un individu qui a
voué sa vie à comprendre et à aimer : l’amour du Créateur
n’implique-t-il pas d’aimer ses créatures ? Mieux : l’amour humain
lui-même, hors de toute forme de religiosité, n’embrasse-t-il pas la
totalité du vivant, comme l’atteste, avant l’islam, la vie du poète Qays
b. Mulawwaḥ, alias Mağnūn, le « fou » de Layla, lequel se réfugia dans le désert au milieu des bêtes sauvages (illustration 8) ?
- 49 Voir V. Loubignac, « Un saint berbère : Moulay Bou’Azza. Histoire et légende », Hespéris, XXXI, Pa (...)
33À cet égard les
lions, surtout dans l’islam maghrébin, sont préférentiellement la
pierre de touche de la sainteté. Il me suffira de renvoyer à la
biographie du grand saint berbère du Maroc, Abū Yaczā Yāl al-Nūr (Mūlay Bū cAzza),
mort en 1177, le maître d’Abū Madyan. On le voit entouré de lions
dociles et d’oiseaux familiers, avec lesquels il vit en parfaite
harmonie. Cette sérénité édénique diffuse autour de lui : à sa porte,
les fauves fraternisent avec les ânes des pèlerins49.
Citons également Sīdī Belyūt, vénéré à Casablanca, dont le nom même,
Abū l-luyūṯ (« l’homme aux lions ») est suffisamment explicite ; ou
encore Sīdī Raḥḥal, le santon de l’Atlas (illustration 9).
- 50 Voir É. Dermenghem, Culte des saints, op. cit., p. 19-21.
34On ne
s’étonnera donc pas de ce que certains saints se soient vu accorder la
faculté de se transformer en animal, les petits saints locaux, surtout,
car les saints « sérieux » (c’est-à-dire savants) y répugnent,
considérant que miracles et prodiges sont du domaine de la futilité,
voire de l’orgueil50.
Je n’entrerai pas dans la discussion de savoir si l’animal qui se
matérialise est le saint lui-même, sa projection mentale ou son djinn
familier : la typologie est facile à établir, mais le rattachement d’un
événement particulier à un type l’est moins car les avis divergent et
les phénomènes d’hybridation sont courants. Peu importe, du reste. Pour
les témoins, l’apparition est réelle : c’est le saint qu’ils
reconnaissent dans l’animal.
- 51 Ibid.., p. 226-228.
- 52 Histoire des colonies françaises et de l’expansion de la France dans le monde, G. hanotaux et A. Ma (...)
35Sīdī Aḥmad b. Yūsuf est, sans conteste, l’un des walī les plus populaires dans tout l’Ouest algérien et de larges parties du Maroc. Affilié à la confrérie sāḏiliyya, il vécut à la charnière du xve et du xvie
siècle et joua un rôle politique en soutenant, contre la dynastie des
Banū Zayān de Tlemcen, la cause de Ḫayr al-dīn (Barberousse), le nouveau
maître d’Alger pour le compte des Ottomans. Lorsqu’il mourut en 1524,
son cadavre fut attaché à sa mule et enterré là où l’animal s’arrêta, en
l’occurrence un tas d’immondices à l’entrée de Miliana. On érigea par
la suite un sanctuaire à cet emplacement, qui devint un lieu de
pèlerinage fréquenté. Il le demeurait encore lorsque Émile Dermenghem le
visita, vers le milieu du xxe
siècle (même s’il note que certains rites avaient disparu sous la
pression des réformistes). Derrière le tombeau du saint, se trouve
notamment celui de sa mule, percé de trous où les malades passent leurs
mains et leurs pieds dans l’espoir de guérir (ce qui n’est pas sans
évoquer la dévotion au chien saint Guignefort telle qu’elle se
pratiquait jadis à Saint-Broladre, Ille-et-Vilaine). Mais voici où je
veux en venir : lorsque les soldats français prirent possession du lieu
en 1840, ils virent un lion près du tombeau du saint et, le lendemain,
un grand serpent descendre des étages et disparaître dans la fontaine51.
Apparition de Sīdī Ahmad b. Yūsuf ? Lion sacré du sanctuaire ? Âme ou
génie du saint (sous la forme du serpent) ? Le fait est que, sur les
1 100 à 1 200 hommes de la garnison, 800 périrent de maladies dans les
mois qui suivirent52. L’événement fut de nature à frapper les esprits.
- 53 É. Dermenghem, Culte des saints, op. cit., p. 98.
- 54 Basset, op. cit., p. 377-378.
36En effet, la métamorphose a souvent valeur d’avertissement. Sīdī cAlī
Ambārik, patron de Colea près d’Alger, a l’habitude d’apparaître sous
la forme d’un lion noir lorsqu’il n’est pas content de ses fidèles53. Sīdī cAbd
Allāh b. Manṣur utilise un serpent énorme pour tourmenter le sultan de
Tlemcen, homme injuste. Sa mission terminée, le reptile vient se glisser
entre le vêtement et la peau du saint homme dont il est sans doute le
génie ou le double (le dédoublement est une des variantes de la
métamorphose54).
- 55 Voir le récit infra, Annexes, A.
- 56 Voir le récit infra, Annexes, B.
37Il existe, symétriquement, des métamorphoses de serviabilité. Arslān b. Yacqūb (mort en 1150), saint patron de Damas, se transforme en faucon pour être agréable à son maître Aḥmad al-Rifācī et à l’ami de celui-ci, Abū Madyan (il devait gagner à cette occasion son surnom d’al-Bāz al-ašhab, le Faucon cendré)55.
La sollicitude va parfois jusqu’au ravaudage des accrocs de la vie
conjugale. Sīdī Abū l-Ṭayyib s’étant plaint du mauvais caractère de sa
femme, son ami Sīdī Mḥammad al-Sabc (« le Lion »), santon marocain de la fin du xvie
siècle, n’hésite pas à surgir chez les époux sous la forme d’un chat
puis, à petits maux les grands remèdes, sous celle d’un lion, ce qui a
pour effet de ramener la mégère à de meilleurs dispositions56.
- 57 Voir F. Clément, « Rumeurs, croyances et émotions populaires dans l’Islam d’Occident au Moyen-Âge (...)
38Ajoutons que
les saints ne sont pas les seuls à bénéficier du don de métamorphose.
Des personnages énigmatiques, mi-agitateurs politiques mi-illuminés,
disposent de ce pouvoir. L’histoire de cAlī al-Ğazīrī vaut qu’on la raconte. Ancien apprenti tālib
almohade chassé pour hétérodoxie, il parcourt le Maroc et gagne de
l’audience auprès des laissés pour compte des grandes villes. En 1190,
traqué par les agents du pouvoir, il prend le maquis, avant de
réapparaître de l’autre côté du détroit de Gibraltar, mais sous la forme
d’un chien, d’un âne, d’un chat. L’affaire prend de telles proportions
que les gens du petit peuple en viennent à soupçonner tout matou
inconnu. Appréhendé à Málaga sous sa forme humaine, transféré à Séville
puis relâché grâce à la vénalité d’un juge, l’homme-chat finit par
tomber à Murcie où les autorités se hâtent de le crucifier dans un
profond soupir de soulagement : on avait eu très peur57.
39En effet, si la
métamorphose du saint rassure d’une certaine façon, puisqu’elle ne remet
pas en cause l’ordre social – elle en corrige seulement les excès –,
celle du rebelle fait trembler : et si tous les chats, par exemple, se
révoltaient contre le prince ? Ou si tous les rebelles, tous les traîne
guenille, se transformaient en chats ?
- 58 Date de la correspondance au recto. Les séries portant la mention « Lévy Fils et Compagnie, Paris (...)
- 59 Le costume du personnage européen, au deuxième plan à gauche, comme le chapeau qu’on aperçoit à l’ (...)
40Je terminerai
cette évocation des métamorphoses animales par une photographie
(illustration 10). Il s’agit d’une carte postale éditée vers 191758
par la maison Lévy Fils et Compagnie de Paris dans la série « Scènes et
types », aux initiales LL, c’est-à-dire provenant du fonds constitué
dans la capitale entre 1866 et 1900 par Moise Léon et Isaac Lévy. Elle
porte le numéro 6228, avec le titre « Une Compagnie peu rassurante ».
L’auteur de la prise de vue n’est pas mentionné, le lieu non plus. On
peut simplement déduire des vêtements que nous sommes en Algérie. La
date ? Deuxième moitié du xixe siècle59.
41On voit, au
premier plan, une lionne couchée, placide, tenue en chaîne. Derrière
elle, des hommes bien habillés posent pour le photographe. Ceux du
premier rang sont assis en demi-cercle, à l’exception du personnage de
droite. Ceux du second rang sont debout. Des curieux se pressent à
l’arrière-plan. Il y a un Européen, à gauche, et sans doute un second,
au fond, car on distingue la coiffe d’un chapeau rond.
42On ne saurait
exclure que le fauve appartient à une troupe de saltimbanques ou à un
notable. Toutefois, la tenue vestimentaire des assistants me semble trop
soignée pour des montreurs d’animaux et trop ordinaire pour les
serviteurs d’un grand personnage (on ne distingue, d’ailleurs, aucune
arme). En outre, les hommes du premier rang (qui sont visiblement les
gardiens de la lionne) ont plutôt la mine grave. Ils ne crânent pas, ils
ne plaisantent pas. Seuls quelques individus dans le public, ainsi que
l’Européen, qui sourit benoîtement, ont l’air de s’amuser, de prendre
l’exhibition de la lionne pour un divertissement.
- 60 Voir infra, Annexes, C ; également É. Dermenghem, Culte des saints, op. cit., p. 12 et surtout p. (...)
43Tout porte donc
à croire que celle-ci n’est autre que l’animal sacré d’une zaouïa,
c’est-à-dire une sorte d’alias du saint disparu. un nom vient alors à
l’esprit, celui du patron des Flittas, Sīdī Muḥammad b. cAwda (xiiie ou xive
siècle ?), l’ami des lions : les desservants de son sanctuaire ont
promené de tels animaux de l’Oranais à l’Algérois jusqu’au milieu des
années 2060.
44Si mon interprétation est correcte, nous tiendrions ici la preuve, celle qui manquait aux sceptiques : un cliché.
Annexes
Annexes
A. Histoire du Faucon gris
« On raconte que le šayḫ, l’Ami [de Dieu] Aḥmad al-Rifācī (Dieu soit satisfait de lui !) avait sa demeure à Umm cUbayda, près de la ville de Wāsiṭ [en Iraq]. Il était lié d’amitié fraternelle avec l’Ami de Dieu (qu’Il soit exalté !) Abū Šuc
ayb b. al-Ḥusayn et il entretenait avec lui une correspondance. On dit
que chacun saluait son camarade le matin et le soir et lui rendait le
salut.
Le šayḫ Aḥmad avait des palmiers dans sa
zaouïa. Une année, il récolta [les dattes], comme d’habitude, mais
laissa un régime, en déclarant :
– Ceci est pour mon frère Šucayb.
Cette année-là, le šayḫ Abū Madyan effectua le pèlerinage. Les deux hommes se retrouvèrent à l’illustre Station du [mont] cArafât. Le šayḫ Aḥmad était accompagné de son serviteur Raslān=(Arslān).
Les deux [amis] devisèrent. Le šayḫ raconta l’histoire du régime [de dattes]. Raslān lui dit alors :
– Sur ton ordre, maître, je le lui apporte.
[Le šayḫ] donna sa permission. [Raslān] partit à l’instant, revint avec [le régime] et le déposa devant les deux hommes.
Les gens de la zaouïa rapportèrent que, le soir de la journée de cArafāt, ils avaient vu un faucon gris se poser sur le palmier, couper le régime en question et l’emporter dans les airs61. »
B. Histoire de la femme acariâtre
« Sīdī Abū l-Ṭayyib invita [un jour] Sīdī Mḥammad al-Sabc
dans sa maison de Maysūra et se plaignit à lui du mauvais caractère de
sa femme. Sīdī Mḥammad ordonna alors à son hôte d’allumer la lampe de sa
chambre et de s’asseoir en récitant le nom de Dieu Tout-Puissant. Puis
il pénétra par surprise chez les deux époux : surgissant d’abord d’une
lucarne comme un chat, il revint ensuite sous la forme d’un lion. La
femme prit la fuite. Elle alla se réfugier auprès de son mari, se
blottir sous son aile protectrice. Alors Sīdī Abū l-Ṭayyib posa la main
sur le fauve :
– Merci, lion ! lui dit-il, ça suffit.
Et le lion se retira62. »
C. Le lion de la Zaouïa
« Zemmora, le 28.09.1951 – Je venais à peine
d’arriver à Zemmora que je vis défiler fièrement devant moi plusieurs
cavaliers musulmans montés sur leurs cavales hennissantes. Leurs burnous
écarlates ou immaculés retombaient lourdement de chaque côté de leurs
selles où se jouaient des arabesques d’or et d’argent. Ils revenaient de
la Zaouïa de Sidi Mohamed Ben Aouda qui attire chaque année des
milliers de pèlerins. Cette terre aride, rocailleuse, est devenue un
lieu saint. C’est là que vécut en anachorète, au milieu des bêtes
fauves, priant, fuyant les hommes… et les femmes, Sidi Mohamed Ben
Aouda. Ses vertus le firent reconnaître par les Flittas comme leur père
spirituel. Après trente ans de vie de jeûne et de prière, le Très-Haut
le rappela à lui. C’est alors qu’eut lieu le miracle. Les disciples du
vénéré saint priaient autour de son tombeau quand un lion apparut.
Stupeur et panique des dévots personnages. Mais le fauve entra dans
l’édifice, et se coucha sur la pierre tumulaire. Quand les serviteurs du
saint revinrent, il se laissa prendre sans difficulté. Les hommes de la
Zaouïa n’ont pas manqué d’exploiter ce miracle, car ils vivent depuis
uniquement d’oboles, et il fallut que leur dernier lion à demi-aveugle
blessât un enfant et fût tué pour qu’ils ne promenassent plus par les
tribus du bled l’adorateur muet de leur saint patron, Sidi Mohamed Ben
Aouda63. »
Notes
2 Voir, sur ce point, N. Élisséeff, Thèmes et motifs des Mille et Une Nuits. Essai de classification, Beyrouth, Institut Français de Damas, 1949, p. 142-144.
3 Ils ne sont pas sans rappeler l’iconographie chrétienne des quatre Évangélistes encadrant le Christ en gloire.
4 Cela inclut le rat, le putois ou le hérisson. Voir F. Clément, « Insectes et autres arthropodes selon Qazwīnī », dans A. Ghouirgate et al. (éd.), Mélanges pour le 25e anniversaire des études arabes à l’Université de Toulouse-le Mirail, Toulouse, AMAM, 1998, p. 159-160.
5 Sur les principaux thèmes du merveilleux dans la faune, voir T. Fahd, « Le merveilleux dans la faune, la flore et les minéraux », dans M. Arkoun, J. Le Goff, T. Fahd et M. Rodinson, L’Étrange et le merveilleux dans l’Islam médiéval, Paris, Éditions J. A., 1978, p. 117-135.
6 al-Idrīsī, Kitāb nuzhat al-muštāq, éd. et trad. partielles par M. Hadj-Sadok, al-Maġrib al-carabī min Kitāb nuzhat al-muštāq li-l-Idrīsī, Paris, Publisud, 1983, § 4, p. 68 (texte) et p. 58 (trad.).
7 al-Zuhri, Kitāb al-ğacrāfiyya, M. Hadj-Sadok (éd.), Bulletin d’Études Orientales, XXI, Damas, 1968, p. 296-295, § 24 ; voir également Clément (François), « La cité des Femmes », dans Les Mille et une Nuits, Contes sans frontières, Toulouse, AMAM, 1994, p. 184-185.
8 D. G. Shepherd, « A Dated Hispano-Islamic Silk », Ars Orientalis, II, 1957, p. 373-382.
9 Voir l’article « Micradj » (B. Schreike, J. Horovitz et al.) Encyclopédie de l’Islam, 2e éd., Leyde, Brill, s. v. ; J.-E. Bencheikh, Le voyage nocturne de Mahomet, Paris, Imprimerie nationale, 1988, rééd. 2002.
10 Yāqūt al-Rūmī, Mucğam al-buldān, Beyrouth, Dār Ṣādir, 1986, V, p. 381, col. g.
11 al-Idrīsī, op. cit., § 8, p. 70 (texte) et p. 60 (trad.).
12 Voir E. Baer, Sphinxes and Harpies in Medieval Islamic Art, Jérusalem, Israel Oriental Society, 1965 ; C. Ewert, Hallazgos islámicos en Balaguer y la Aljafería de Zaragoza,
Excavaciones arqueológicas en España, 97, Madrid, Servicio de
Publicaciones del Ministerio de Educación y Ciencia, 1979, p. 166 sq.
13 Ibn Manẓūr, Lisān al-cArab, s. v.
14 Je remercie Yves Hersant d’avoir attiré mon attention sur ce point.
15 R. Basset, Mille et un contes, récits et légendes arabes, III, Légendes religieuses, Paris, Librairie orientale et américaine Maisonneuve frères, 1926, p. 280.
16 Sur tout ceci, voir l’article « Masḵẖ », (C. Pellat) Encyclopédie de l’Islam, op. cit., s. v.
17 Voir T. Fahd, « La naissance du monde selon l’islam », Sources Orientales, I (La naissance du monde), Paris, Le Seuil, 1959, p. 237-279.
18 Voir Basset, op. cit., p. 619.
19 Le lecteur francophone en trouvera la liste dans F. Gabrieli, Mahomet, coll. Le Mémorial des Siècles, Paris, Albin Michel, 1965, p. 332-333.
20 Voir É. Dermenghem, Le culte des saints dans l’islam maghrébin, Paris, Gallimard, 1982 (1re éd. 1954), p. 99 ; Basset, op. cit., p. 213 (autre exemple p. 437).
21 Basset, op. cit., p. 238.
22 Ibid., p. 271.
23 Ibid., p. 321.
24 Ibid., p. 388.
25 Ibid., p. 368.
26 Ibid., p. 300 ; voir également É. Dermenghem, Vie des saints musulmans, éd. définitive, Paris, Sindbad, 1981, p. 22-23.
28 Voir Basset, op. cit., p. 235-237, 254, 327, 460.
29 Ibid., p. 254, 468, 523.
30 Ibid., p. 303.
31 Ibid., p. 264-65 (pour punir l’assassin de cAlī), 444 (pour punir le méchant beau-père), 527 (pour punir le cultivateur qui a défié le Ciel).
32 Ibid., p. 295, 327, 370, 373.
33 C’est la seule compétence originale, avec la lexicologie et la poésie, que Ṣācid l’Andalou reconnaît aux anciens Arabes par rapport aux Indiens, Chaldéens, Perses, Grecs et autres peuples savants. Cf. ses Tabaqāt al-umam (Catégories des nations).
34 Voir Clément, « Insectes. », op. cit., p. 177-182.
35 Voir ibid., p. 168.
36 Basset, op. cit., p. 239.
37 Ibid. ; É. Dermenghem, Culte des saints, op. cit., p. 100.
38 Voir Clément, « Insectes… », op. cit., p. 166-167.
39 Ibid., p. 163-164, 167-168.
40 Ibid.,
p. 163. Il est vrai que, pour les insectes hémimétaboles (comme la
punaise), les stades larvaires se distinguent mal, hormis la taille, du
stade imaginal.
41 Basset, op. cit., p. 470.
42 Ibid., p. 446.
43 Ibid., p. 383-384 ; É. Dermenghem, Vie des saints, op. cit., p. 250-251 ; id., Culte des saints, op. cit., p. 72.
44 Il n’avait pas fait maigre ce jour-là. Voir É. Dermenghem, Culte des saints, op. cit., p. 100 ; autre exemple dans Basset, op. cit., p. 584.
45 Voir Basset, op. cit., p. 462, à propos de Ḫayr le Tisserand (mort en 933), un des maîtres de Šīblī (861-945).
46 Ibid., p. 451.
47 Ibid., p. 347.
48 Ibid., p. 315, n. 1. Autres exemples concernant les lions, ibid., p. 274 sq., 361, 380, 431, 454.
49 Voir V. Loubignac, « Un saint berbère : Moulay Bou’Azza. Histoire et légende », Hespéris, XXXI, Paris, Librairie Larose, 1944, p. 15-34 ; É. Dermenghem, Culte des saints, op. cit., p. 59 sq.
50 Voir É. Dermenghem, Culte des saints, op. cit., p. 19-21.
51 Ibid.., p. 226-228.
52 Histoire des colonies françaises et de l’expansion de la France dans le monde, G. hanotaux et A. Martineau (dir.), II, L’Algérie, par A. Bernard, Paris, Société de l’Histoire nationale et Librairie Plon, 1930, p. 210 ; C.-A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord. Tunisie-Algérie-Maroc, Paris, Payot, 1931, p. 600.
53 É. Dermenghem, Culte des saints, op. cit., p. 98.
54 Basset, op. cit., p. 377-378.
55 Voir le récit infra, Annexes, A.
56 Voir le récit infra, Annexes, B.
57 Voir F. Clément, « Rumeurs, croyances et émotions populaires dans l’Islam d’Occident au Moyen-Âge : quelques exemples », Annales de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université de Balamand (Liban), IX, 1999, p. 75-76.
58 Date de la correspondance au recto. Les séries portant la mention « Lévy Fils et Compagnie, Paris » ont débuté en 1914.
59
Le costume du personnage européen, au deuxième plan à gauche, comme le
chapeau qu’on aperçoit à l’arrière plan, devraient permettre de
préciser la date.
60 Voir infra, Annexes, C ; également É. Dermenghem, Culte des saints, op. cit.,
p. 12 et surtout p. 206-207. On remarque sur la photographie que les
personnages du premier plan à droite sont des Noirs. Or la zaouïa de
Sīdī Muhammad b. cAwda avait la particularité d’être desservie par des Noirs (ibid., p. 208).
61 Ibn Baṭṭūṭa, Tuḥfat al-nuẓẓār fī ġarā’ib al-amṣār wa-cağā’ib al asfār, Beyrouth-Le Caire, Dār al-kitāb al-lubnānī et Dār al-kitāb al-miṣrī, s. d., p. 70.
62 Mawlāy Aḥmad b. al-Ḥasan al-Sabcī, al-Durar al-saniyya fī aṣl al-sulāla al cImrāniyya al-Šaġrūšaniyya wa-l-Sabciyya, Fès, s. d., p. 4. Voir É. Clément, « Rumeurs… », op. cit., p. 77.
63 R. Blin, « Le lion de la Zaouïa », L’Écho d’Oran, 28 septembre 1951.
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