|
La narcolepsie, bien
qu’aussi fréquente que la maladie de Parkinson ou que la sclérose
en plaque, demeure méconnue. Souvent confondue avec d’autres pathologies
comme l’épilepsie, elle est souvent diagnostiquée avec un
retard de plus de 10 ans. Cette affection semble avoir une composante génétique
mais des facteurs environnementaux influencent aussi vraisemblablement l’expression
de la maladie.
|
Voici un exemple d’un
cas de narcolepsie
rapporté par un médecin. Un berger français
d’une trentaine d’années se surprend à
dormir debout en surveillant son troupeau. Il lui arrive d’avoir
d’étranges visions, de rêver en marchant
ou de se retrouver sans trop savoir pourquoi dans la cuisine
de la ferme voisine. Il lui est déjà arrivé
de tomber par terre en pleine discussion avec le guichetier
de la Poste. Quand il a envie de rire ou qu’il est en
colère, ses jambes flageolent souvent et il s’effondre
comme un pantin désarticulé. La nuit, il dort
mal et a parfois l’impression d’être paralysé.
|
La narcolepsie touche aussi
les animaux, dont les chèvres, les ânes, les poneys et plusieurs
races de chien qui présentent une affection génétique dont
les manifestations sont semblables à la narcolepsie humaine. Or on a découvert,
chez ces espèces de chien, une mutation sur le gène du récepteur
de type 2 de l’hypocrétine. Ce neurotransmetteur est synthétisé
uniquement par des neurones hypothalamiques qui projettent sur des structures
impliquées dans divers aspects du sommeil.
Normalement,
la sécrétion d’hypocrétines contribue au maintien du
tonus musculaire et à la vigilance par l’activation de neurones à
monoamines et à acétylcholine. Il semble que la mutation du récepteur
de l’hypocrétine entraîne une hyperexcitabilité des
neurones responsables du sommeil paradoxal et une altération des circuits
qui inhibent ce même sommeil paradoxal. Chez l’humain, la dégénérescence
des neurones produisant les hypocrétines produirait le même effet.
|
|
|
LES DÉRÈGLEMENTS DU SOMMEIL |
|
Depuis les années
1970, des laboratoires de recherche sur le sommeil ont émergé un
peu partout dans le monde. Grâce à eux, on a découvert que
les
problèmes de santé causés par le manque de sommeil sont
bien plus nombreux qu’on l’avait imaginé. Ces laboratoires
ont aussi identifié plus de 100 dérèglements qui peuvent
affecter notre sommeil. Outre les
insomnies et les problèmes liés au rythme
circadien, les hypersomnies et les parasomnies constituent
les deux autres grandes catégories des pathologies du sommeil.
La narcolepsie, autrefois appelée « maladie du sommeil »,
est une hypersomnie qui se caractérise par une somnolence excessive durant
la journée pouvant aller jusqu’à des attaques de sommeil brutales
et irrépressibles plusieurs fois par jour. La personne tombe donc littéralement
endormie à toute heure du jour. De plus, lors de ces attaques, la personne
passe directement de l’état de veille à une phase de sommeil
paradoxal, ce qui est tout à fait singulier puisque les personnes saines
passent invariablement par une période
de sommeil lent avant d’accéder au sommeil paradoxal. En fait,
de nombreux symptômes de la narcolepsie peuvent être vus comme l’intrusion
d’une phase de sommeil paradoxal chez une personne éveillée.

De
plus en plus d’études chez l’animal et chez l’humain
(voir encadré à gauche) convergent vers une implication des hypocrétines
dans la narcolepsie. Les hypocrétines (ou orexines) sont
des neuropeptides produits uniquement dans des neurones l’hypothalamus.
Or, plusieurs analyses post-mortem chez l’humain ont démontré
une baisse marquée du nombre de ces neurones dans le cerveau de personnes
narcoleptiques comparé à celui de personnes saines.
Dans
sa forme complète, la narcolepsie s’accompagne aussi d’une
manifestation pour le moins surprenante quand on en est témoin : la
cataplexie. Il s’agit d’une baisse de tonus musculaire
soudaine de courte durée (moins d’une minute) et d’intensité
variable. Elle peut aller d’une simple faiblesse au niveau du cou, des genoux
ou des muscles de la face à une paralysie totale provoquant la chute de
la personne sur le sol. L’attaque de cataplexie est habituellement
déclenchée par une émotion forte comme un fou rire, la colère,
la surprise ou encore l’excitation sexuelle. Ces patients sont souvent conscients
durant ces attaques, mais incapable de bouger, ce qui est une situation assez
terrifiante. Encore une fois, le lien avec le sommeil paradoxal est évident :
il s’agit d’une atonie musculaire en tout point semblable à
celle qui survient durant le « REM » pour empêcher
le corps d’actualiser nos rêves.
La
paralysie du sommeil et l’hallucination liée au
sommeil sont d’autres symptômes de la narcolepsie. La première
se traduit par l'impossibilité temporaire de parler ou de bouger à
l'endormissement ou à l'éveil, situation pour le moins déconcertante,
surtout lorsque la personne n’en connaît pas l’origine. Quant
aux hallucinations liées au sommeil, également expérimentées
dans la transition veille – sommeil ou lors d’une baisse de vigilance
durant la journée, elles sont des expériences bizarres et désagréables
ressemblant à un rêve éveillé.
On regroupe sous l’appellation de parasomnies
un ensemble de phénomènes anormaux qui surviennent au cours du sommeil.
Plusieurs parasomnies touchent particulièrement les enfants. C’est
le cas de la terreur nocturne qui est un phénomène complètement
différent du simple cauchemar.

" Le Cauchemar " d'Heinrich Füssli (1792). Collection
privée. | Le
cauchemar est un rêve dont l’imagerie visuelle effrayante
ou les émotions négatives sont suffisamment intenses pour provoquer
le réveil du dormeur, le laissant apeuré et angoissé. Il
se distingue ainsi du simple mauvais rêve qui ne cause pas le réveil.
Les cauchemars accompagnent le
développement psychologique normal de l'enfant (angoisse de séparation,
rivalité fraternelle, etc...). Plus tard, chez l’adulte, ils sont
favorisés par le stress ou par des facteurs physiques comme la fièvre.
Certains cauchemars violents et récurrents peuvent aussi être liés
à un
stress post-traumatiques. |
Les
terreurs nocturnes sont pour leur part des événements,
biologiquement et psychologiquement différents des cauchemars. Elles débutent
chez les enfants de 3 à 6 ans et disparaissent généralement
durant l’adolescence. L’enfant en proie à une terreur nocturne
crie, hurle, a les yeux ouverts et peut tenir des propos incohérents en
gesticulant. Contrairement au cauchemar où les gens peuvent se rappeler
clairement des éléments du cauchemar au réveil, les terreurs
nocturnes se caractérisent par une confusion lors du réveil, l’absence
de rappel d’une imagerie onirique élaborée et la présence
d’une activation intense du système nerveux autonome provoquant sueurs,
élévation de la fréquence cardiaque et de la pression sanguine,
etc. De plus, alors que les cauchemars surviennent surtout en sommeil paradoxal
durant la seconde moitié de la nuit, les terreurs nocturnes surviennent
typiquement en sommeil lent profond (stades 3 et 4) durant les premières
heures de la nuit. L’épisode entier qui peut durer de 1 à
20 minutes est habituellement oublié le matin suivant alors que l’enfant
se réveille de bonne humeur.
 |
 |
L’énurésie,
c’est-à-dire l’involontaire « pipi au lit »
pendant la nuit, laisse pour sa part des traces indéniables au matin…
Les enfants sont qualifiés d'énurétiques s’ils mouillent
leur lit plus de deux fois par semaine après l'âge de 5 ou 6 ans,
donc bien après être devenus propres. Soutenir l’enfant plutôt
que de le punir ou l’humilier lui permet de conserver une bonne estime de
soi malgré ce dérèglement qui disparaît généralement
à l’adolescence.
Le somnambulisme
est une autre parasomnie particulièrement fréquente chez l’enfant.
Environ le tiers des enfants seraient somnambule un jour ou l'autre et environ
3 % le serait à chaque mois. Encore ici, les épisodes de somnambulisme
disparaissent progressivement avec l’âge, de sorte que 1 à
4 % des adultes en auraient encore à l’occasion.
Contrairement
à la croyance populaire, il n'est pas dangereux de réveiller un
somnambule. Ce peut être par contre assez difficile car les épisodes
de somnambulisme, qui durent généralement autour de 10 minutes,
surviennent pendant notre sommeil lent le plus profond, le
stade 4, et donc dans
les premiers cycles de notre nuit de sommeil. Le somnambulisme n’est
donc pas provoqué par des rêves et n’en est pas accompagné.
On pense qu’un épisode de somnambulisme
est déclenché par quelque chose, un bruit, une envie d’uriner,
qui provoquent alors le réveil du corps mais pas celui du cerveau ! Le
somnambule peut alors se promener, ouvrir le frigo, manger, décrocher le
téléphone, jouer de la musique sans avoir conscience de ses actes.
Comme ces fonctions cognitives très partielles ne sont pas sans danger,
la meilleure chose à faire est de raccompagner la personne somnambule doucement
dans son lit.
La somniloquie, qui
est le fait de parler pendant le sommeil, peut pour sa part survenir autant en
sommeil lent qu’en sommeil paradoxal. Les mots sont généralement
si mal articulés et les phrases vides de sens que celui qui les entend
demeure perplexe. Les épisodes survenant en sommeil paradoxal tendent toutefois
à être plus élaborés.
 |
 |
Le bruxisme est une autre parasomnie
étrange qui consiste en des grincements de dents répétitifs
et involontaires qui provoquent une usure anormale des dents et un inconfort des
muscles de la mâchoire. Si le mouvement des mâchoires durant le sommeil
s’observe chez environ la moitié de la population, seuls 6 % des
gens vont aller jusqu’aux grincements de dents durant les stades du sommeil
lent léger qui caractérisent le bruxisme. Les mécanismes
de cette maladie ne sont pas encore complètement élucidés,
bien qu’il soit maintenant admis qu’ils se situent bien au niveau
du système nerveux central. La diminution du stress et le port d’un
appareil buccal pouvant prévenir le dommage dentaire sont généralement
bénéfiques.
 |
 |
Le trouble comportemental en sommeil paradoxal
(« REM behavior disorder » ) est une pathologie rare
mais fascinante qui touche cette fois-ci les personnes âgées. Il
s’agit d’une forme de déambulation nocturne qui, de l’extérieur,
peut ressembler au somnambulisme. Mais il y a une différence de taille
puisque la personne n’est pas en sommeil lent mais bien en sommeil paradoxal
durant ces comportements. Normalement, les muscles d’un dormeur en sommeil
paradoxal sont complètement paralysés à l’exception
des muscles respiratoires et des muscles oculaires. Or les individus qui
souffrent de trouble comportemental en sommeil paradoxal ne subissent justement
pas la paralysie caractéristique du sommeil paradoxal et sautent littéralement
du lit pour mimer leur rêve tout en continuant de dormir ! Il s’agit
d’un trouble très dangereux puisque ceux qui en souffrent se blessent
souvent en extériorisant leurs rêves, tentant de fuir ou de combattre
des agresseurs inexistants. Agresseurs qui peuvent prendre la forme du partenaire
de lit qui passe alors un mauvais quart d’heure… Heureusement l’état
de ces patients peut s’améliorer avec certains médicaments
parmi lesquels figure la benzodiazépine
clonazepam.
Chez plusieurs de ces patients, on a pu démontrer la présence
d’une lésion au niveau du tronc cérébral,
c’est-à-dire dans les régions responsables de
l’atonie musculaire du sommeil paradoxal. Les mêmes
régions qui, lorsque
lésées chez le chat, lui permettait « d’extérioriser ses
rêves ». Ces régions qui permettent
l’atonie musculaire durant le sommeil paradoxal se seraient
vraisemblablement mises en place au
cours de notre évolution pour éviter justement
ce qui arrive aux personnes atteintes de trouble comportemental
en sommeil paradoxal.

La
paralysie du sommeil, très fréquente chez les narcoleptiques,
peut aussi exister d'une manière isolée, sans autre pathologie associée.
Cette parasomnie se produit au moment de l’endormissement ou au moment du
réveil et dure typiquement quelques minutes. Pendant cette période,
la personne est incapable de bouger ou de parler. Cette paralysie pour le moins
angoissante peut également s’accompagner d’hallucinations visuelles,
auditives et même tactiles, appelées hallucinations hypnagogiques.
|
Commentaires
Enregistrer un commentaire